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Le roi se meurt, d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean Lambert-wild, collaboration artistique de Catherine Lefeuvre, au Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes

Oct 05, 2025 | Commentaires fermés sur Le roi se meurt, d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean Lambert-wild, collaboration artistique de Catherine Lefeuvre, au Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes

 

© Tony Guillou

 ƒƒ article de Denis Sanglard

Le roi se meurt, le roi est mort, vive Gramblanc.

Et puisque le théâtre pour Ionesco est un « art à effet qui ne peut être que gros », rien que de très logique pour Jean Lambert-wild et son avatar Gramblanc de mettre en piste cette agonie, augmentée de l’art du clown, qui n’est rien de moins que le tragique de l’existence vue à la loupe où le grotesque n’est qu’un faux-nez, rouge comme il se doit. Et derrière le plus petit masque de comédie se noue une tragédie. La pièce pas encore commencée, la Mort fait irruption à cheval sur un clown blafard. Jean-Lambert-wild et Catherine Lefeuvre mettent en scène cette agonie comme une entrée de clown cauchemardesque, un dernier tour de piste où la nature du clown blanc, sa gravité et son inquiétude dans son rapport chaotique et poétique au monde, est le miroir de notre propre inquiétude.

Béranger 1er se meurt et avec lui le monde, son royaume réduit désormais à peau de chagrin, un cirque, un trapèze pour trône. Eugène Ionesco exorcise la peur de tout homme, ce destin inévitable que Beckett, lui, résumait ainsi, lapidaire, « (…) elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant puis c’est la nuit à nouveau (…) ». Gramblanc provoque le rire sans gag, sans lazzi, sans effet, ou si peu. Improvisant parfois dans le public qu’il entraîne avec lui dans cette danse qui se dérobe au macabre pour un rire qui exorcise. Si l’on rit de cet agonisant récalcitrant, c’est dans le refus obtus de sa fin, de son aveuglement têtu, de sa peur. Le corps se plie à ce qui est proféré, du déni de l’irréversible programmé à l’acceptation, la reddition. C’est un corps qui se défait, d’écroulements en rémissions soudaines avant la chute finale. Grotesque, un jeu volontairement enflé, ronflant, Gramblanc joue au roi qui se prend au jeu d’être roi, une dernière fois, encore un tout dernier instant avant le néant. Le tragique est là qui provoque paradoxalement le rire, dans cette exagération de la parole, dans son emphase, l’hyperbole du langage et du jeu clownesque qui masque à peine le tremblement de moins en moins ténu devant la camarde qui s’avance.

Dire « je meurs » c’est « faire de la littérature » affirme Béranger 1er.. La mort dés lors ne peut être qu’une fiction, une farce. C’est faire montre de son impuissance devant une expérience qui ne se répète pas. Le roi est nu, ne lui reste que le verbe pour saisir une réalité qui lui échappe et c’est aussi ça que Gramblanc exprime en équilibre sur son trapèze. Et quand le verbe se dérobe, la Mort a enfin le dernier mot. Jean Lambert-wild et Catherine Lefeuvre se plient à l’injonction performative du texte et de ces circonvolutions. Au risque, il est vrai, d’une certaine dilution de la mise en scène, pourtant dynamique, devant les répétitions, les bégaiements de Béranger 1er, où le texte ne cessent de s’enrouler sur lui-même. Autour de ce roi, de ce clown, Gramblanc vêtu de son éternel pyjama rayé, ils sont six comme à la parade, à défiler, à se disputer le corps du roi et son agonie. La reine Marguerite, impériale Odile Sankara, qui n’est que conscience de notre propre finitude et oblige Béranger 1er à regarder la mort au travail. La reine Marie, Nina Fabiani toute de sensibilité écorchée, exprimant le refus de l’inéluctable et n’offre pour tout vain remède que son amour. Le médecin tout à la fois chirurgien, bourreau, bactériologue, astrologue, formidable de cynisme brut et de réalisme sec Vincent Abalain, ici Monsieur Loyal monté sur échasse, lesquelles grincent comme grince la charrette de l’Ankou. L’Auguste et homme-orchestre Vincent Desprez, le soldat, et Aimée Lambert-wild, Juliette la femme de ménage, forment un chœur à l’unisson devant cette fin qui ne les émeut guère, tout à leur tâche ancillaire et leur bon-sens. Enfin le bouffon joué par Pompon, un petit cochon, oui, jouant à la perfection son rôle. Le cirque est un théâtre-monde et Gramblanc, comme tout clown, c’est la condition humaine mise à nu ; son art du grotesque, la révélation et la sublimation de son absurdité. Ionesco et son théâtre de l’absurde n’exprime rien d’autre.

 

© Tony Guillou

Le roi se meurt, d’Eugène Ionesco

Mise en scène de Jean Lambert-wild

Collaboration artistique de Catherine Lefeuvre

Scénographie : Jean Lambert-wild et Gaël Lefeuvre

Création lumières : Marc Laperrouze

Costumes : Pierre-Yves Loup-Forest

Stagiaire costumes : Jeanne Dureuil

Réalisation du squelette : Gaston Arrouy

Réalisation de la marotte du roi Bérenger 1er : Didier Durassier

Régie générale : Vincent Desprez

Régie lumière : Dorian André

Régie son : Maël Baudet

Régie plateau : Agathe Dalifard

Accompagnement du petit cochon Pompon : Aimée Lambert-wild

 

Avec : Jean Lambert-wild, Odile Sankara, Nina Fabiani, Vincent Abalain, Aimée Lambert-wild, Pompon

 

Jusqu’au 9 novembre 2025

Du jeudi au samedi à 21h

Samedi et dimanche à 16h30

 

Théâtre de l’Épée de Bois

Route du Champ de Manœuvre

75012 Paris

 

Réservations : 01 48 08 39 74

www.epeedebois.com

 

La coopérative 326 monte « son campement » jusqu’au 9 novembre à L’Epée de bois.

Toute la programmation : https://www.epeedebois.com/wp-content/uploads/2025/06/Flyer-web-Le-Campement-a-lEpee-de-bois-1.pdf

 

 

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