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Dimanche, conçu par les collectifs Focus et Chaliwaté, Théâtre de la Croix Rousse, Lyon

Oct 02, 2025 | Commentaires fermés sur Dimanche, conçu par les collectifs Focus et Chaliwaté, Théâtre de la Croix Rousse, Lyon

 

© Mihaela Bodlovic

 

ƒƒƒ article de Paul Vermersch

Le plaisir est très grand de découvrir ce petit bijou hybride, où la diversité des médiums employés (marionnettes, manipulation d’objets, vidéos…) vient à chaque fois renouveler un regard sensible autour de la question de l’écocide et du changement climatique. Fonctionnant comme une petite machine à produire des images vivantes, le spectacle dessine autour d’une histoire accessible à tous et toutes (grands et moins grands) des tableaux surprenants de technicité et d’inventivité, dans lesquels se déposent en creux les questions écologiques de notre époque.

Situé dans un futur plutôt proche, Dimanche trace en parallèle l’histoire d’un groupe de reporters, qui s’aventure dans des régions rendues très hostiles par le réchauffement climatique, et celle d’un couple, dont il nous est donné à voir le plus strict quotidien, mais un quotidien lui aussi modifié par les nouvelles conditions météorologiques désormais courantes.

Ce qui frappe tout de suite dans le spectacle, c’est l’aspect ludique et distancié avec lequel le sujet se traite, à chaque fois en creux des situations auxquelles on est convié. La catastrophe climatique est toujours là, en toile de fond, on pourrait même dire qu’elle est le moteur de la dramaturgie dans le sens que c’est elle qui vient tendre les enjeux de chaque scène, créer les frottements qui permettent le jeu. Par exemple, dans un magnifique tableau, d’ailleurs surprenant par sa complexité technique, la chaleur est telle dans la maison du couple que le mobilier se met à fondre. Le porte-manteau, la table, les chaises, d’un coup, tout se déforme à cause de la chaleur, toutes les surfaces sont ramollies. Le couple essaie comme il peut de continuer son petit déjeuner devenu impossible. Les corps se courbent, tentent de s’adapter à cette situation nouvelle, en deviennent ridicules, on rit. Et pourtant, malgré tout l’aspect ludique de la scène, et malgré le plaisir esthétique de voir vraiment au plateau des objets se ramollir devant nous, on ne peut que se rappeler que la chaleur est due à l’augmentation massive d’émission de gaz à effets de serre, que derrière le comique il y a bien un drame, celui de notre époque.

La manipulation d’objets, l’utilisation des marionnettes (notamment d’une grand-mère particulièrement touchante, qui s’électrocutera dans une lampe après s’être rafraîchie avec des glaçons) permet d’emprunter un regard légèrement de biais par rapport aux problématiques convoquées. L’immense ours polaire grandeur nature, et son ourson tout en fourrure qui apparaît sur un bout de banquise, vient tout de suite rappeler une esthétique de la peluche, ramène le public à un état d’enfance à partir duquel on est invité·e à regarder la séparation de la mère et de son petit (à cause de la fonte des glaces) par une entrée très concrète. La marionnette est longuement manipulée, on nous laisse vraiment le temps d’entrer dans le rapport entre les deux animaux, la mère qui lèche le petit, le petit qui joue dans la fourrure de sa mère, c’est bien ce qui reste « d’enfant » qu’on vise à activer chez le public et ça opère assez fort : le cliché de « la maman ours qui perd son petit » fonctionne car on a pris le temps d’être absorbé dans les gestes des animaux, dans leur matérialité.

Ce qui ressort de Dimanche, c’est aussi son propos très lisible sur le déni de l’urgence climatique. Un propos jamais didactique, jamais frontal, mais pourtant très au travail dans la forme. Alors que le pays est traversé par des tornades très violentes, le couple (dont la fenêtre de la maison a été cassée par un oiseau migrateur qui s’est pris la vitre) essaie tant bien que mal de s’adonner à un petit dîner aux chandelles. Le vent s’engouffre de plus en plus fort dans la maison, soulève la vaisselle, renverse la table et finit par scotcher un acteur au mur, encore une fois en sidérant le public par un degré de réalisme tout à fait étonnant. Les corps valdinguent dans les bourrasques mais rien n’y fait : le couple s’acharne à redresser les chaises et à tout faire pour continuer le dîner. Une image pas si métaphorique que ça, qui vient incarner en gros plan le déni face à la catastrophe climatique en cours. Le public expérimente, et ce, par le plateau, un adage que certains politiques feraient bien de réapprendre : ignorer les problèmes ne les fait pas disparaître.

Intelligent, remarquable dans son exécution technique, Dimanche est un bel exemple de ce que le théâtre, mobilisé dans tout son outil, peut faire éprouver à un public des enjeux de notre monde contemporain, en évitant tout didactisme, tout surplomb et en réinvestissant pleinement le pouvoir de l’imaginaire. À ne pas manquer !

 

© Mihaela Bodlovic

 

Dimanche, écrit et mis en scène par Julie Tenret, Sicaire Durieux, Sandrine Heyraud

Marionnettes : Joachim Jannin (WAW Studio !), Jean-Raymond Brassinne, Emmanuel Chessa, Aurélie Deloche, Gaëlle Marras

Avec : Thomas Dechaufour, Christine Heyraud, Sophie Leso Scénographie Zoé Tenret

Création lumière : Guillaume Toussaint Fromentin

Création sonore : Brice Cannavo

Décor : Zoé Tenret, Bruno Mortaignie (LS Diffusion), Sébastien Boucherit, Sébastien Munck 

Réalisation vidéo, direction photographique : Tristan Galand

Assistant caméra : Alexandre Cabanne

Chef machiniste : Hatuey Suarez

Prise de vue sous-marine : Alexandra Brixy

Prise de vue vidéo JT : Tom Gineyts

Post-production vidéos : Paul Jadoul

Sons vidéos : Jeff Levillain (Studio Chocolat-noisette) et Roland Voglaire (Boxon Studio)

 

Du 02 au 04 novembre 2025

Durée : 1h10

 

Théâtre de la Croix Rousse

Place Joannès Ambre

69004 Lyon

 

Réservation : 04 72 07 49 49

www.croix-rousse.com

 

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