© Fiona-MacPherson
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Faustus in Africa, d’après le texte de Goethe, caracole en anglais surtitré plus vite que nous, d’un souffle parfois amphigourique, avec des images éblouissantes. William Kendridge s’inscrit dans une lignée d’artistes qui, de Léonard de Vinci à David Hockney maîtrisent toutes les formes d’expression, du dessin à la vidéo et à la musique, des marionnettes à la mise en scène théâtrale.
Faust, un homme épris de connaissance transcendante est accablé par le caractère vain de tout son savoir. Il signe alors un pacte avec Méphistophélès. Celui-ci promet de l’initier aux jouissances terrestres, en échange de quoi, Faust s’engage à lui livrer son âme quand il passera l’arme à gauche. Dès lors le récit s’envole, Faust rajeuni par une plasticienne hors pair, sorcière de son état, se livre aux plaisirs de la chair sans trouver de satisfaction, chasse, tue, fait marcher la planche à billets pour combler ses dettes, séduit, engrosse et abandonne une jeune femme vertueuse, jouit sans entraves, un long voyage pour rien, ce qu’on appelle « avoir vécu ».
William Kendridge transpose le récit au cœur de l’Afrique, en 1995, à la fin de l’apartheid et crée une œuvre virtuose au fil d’un rodéo macabre, coloré et musical, le spectateur vit une expérience sensorielle unique. Au-delà d’une critique féroce du colonialisme et d’un capitalisme prédateur, la combinaison des acteurs, des marionnettes, des dessins au fusain animés et de la bande son nous projette au cœur de la pulsion de mort décrite par Freud, une jouissance morbide qui avale tout. « Le pape ? combien de divisions », disait Staline. Dans Faustus in Africa des généraux fantoches exécutent des parades grotesques, massacrent, pillent. Méphistophélès, démon intellectuel redoutable, leur procure l’illusion de tout comprendre et de tout dominer. William Kendridge a l’idée géniale de faire interpréter par un comédien le rôle de Satan, le véritable manipulateur des marionnettes à l’effigie de dictateurs célèbres, (Mobutu, Bokassa notamment) en meneur de revue à l’américaine avec clin d’œil à la salle. On pense à Cabaret de Bob Fosse où les chansons et les danses ponctuaient la montée du national-socialisme. Il est facile de rapprocher ces pantins et les grands clowns actuels aux idéologies décomplexées et nauséabondes. Combien de couleuvres avons-nous avalées avant de comprendre où voulait en venir Poutine ? À force de pactes foireux avec le diable, le mal court. La puissance plastique de William Kendridge, la stylisation de sa mise en scène, la précision des chorégraphies rappellent le travail du regretté Bob Wilson, en plus vibrionnant. Il invente une technique cinématographique très simple en apparence, consistant à réaliser un dessin au fusain noirci, à en retravailler certaines parties par des ajouts ou des effacements et à filmer image par image les modifications apportées. En résulte un petit film d’animation, projeté en fond de scène avec des dessins d’animaux, des avions inquiétants, des tablettes publicitaires et des cartes d’Afrique. Cet « Arte povera » poétique parle à tous, petits ou grands.
Le décor massif figure un amphithéâtre bibliothèque, temple du savoir, avec une paillasse où Cerbère à tête de hyène dépèce les cadavres et signe les contrats en lettre de sang. Lucifer s’ennuie et joue aux cartes pendant la nuit de Walpurgis, il prend un air patelin, une vraie entreprise de dédiabolisation, tandis qu’une fanfare surréaliste ponctue chaque séquence et que la liste des morts apparaît sur des cartons à l’écran.
Nous vivons une époque incroyable où l’humanité contemple sa fin prochaine dans une sorte de torpeur cataleptique. En nous offrant une plongée en nous-même, les marionnettes de Faustus in Africa nous mettent face à nos propres monstres. Par un effet de miroir déformant, le monstre sur la scène devient le monstre en nous. Dans une transe dévastatrice est célébré un théâtre de l’enfer d’où l’humour n’est pas exclu. Impressionnant !
© Fiona-MacPherson
Faustus in Africa, recréation de William Kentridge
Mise en scène : William Kentridge
Conception et direction des marionnettes : Adrian Kohler, Basil Jones, Tau Qwelane
Scénographie Adrian Kohler, William Kentridge (Handspring Puppet company)
Animation : William Kentridge
Costumes marionnettes : Hazel Maree, Hiltrud von Seidlitz, Phyllis Midlane
Effets spéciaux : Simon Dunckley
Conception des décors : Adrian Kohler
Construction des décors : Dean Pitman
Texte additionnel : Lesego Rampolokeng
Musique : James Phillips, Warrick Sony
Éclairage : Wesley France
Avec : Eben Genis, Atandwa Kani, Mongi Mthombeni, Wessel Pretorius, Asanda Rilityana, Buhle Stefane, Jennifer Stey
Du 11 au 19 septembre 2025
Dans le cadre du Festival d’Automne 2025
Du lundi au vendredi à 20h, samedi à 15h et 20h, relâche le dimanche
En anglais surtitré en français
1h30
Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt
2, place du Châtelet
75004 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
comment closed