© Marie Toussaint
ƒ article d’Emmanuelle Saulnier
Art est une pièce de Yasmina Reza, créée il y a plus de trois décennies (dans la mise en scène de Patrick Kerbrat, avec ce dernier, Fabrice Luchini et Pierre Arditi, à la Comédie des Champs-Élysées en 1994) puis reprise dans un grand nombre de productions allant des plus classiques (dans la même mise en scène avec Charles Berling, Jean-Pierre Daroussin, Alain Fromager au Théâtre Antoine en 2018) aux plus audacieuses (comme celle du tg STAN au Théâtre de la Bastille en 2017) et traduite dans plus de 30 langues. Il est commun ou courant de lire que la pièce est devenue un classique (publié en l’occurrence immédiatement chez Actes Sud). Il faut dire qu’une telle longévité pour un texte contemporain a de quoi impressionner.
Et c’est une standing ovation qui salue encore le nouveau trio en 2025 au Théâtre Montparnasse. L’excellente mécanique des comédiens Olivier Broche, François Morel et Olivier Saladin, qui jouent avec leur propre amitié dans la vie, ce qui doit être encore plus jouissif au plateau, fonctionne de manière impeccable. Il faut ajouter au palmarès des critiques dithyrambiques, saluant le non vieillissement de cette pièce et l’intelligence de son texte. Si l’on peut se réjouir qu’Art a le mérite d’attirer des foules au théâtre, l’on se permettra de trouver exagéré le discours unanime exagérément laudatif. Art est un excellent théâtre de divertissement, ce qui est sans doute déjà pas si mal, mais de là à dire que le prétexte d’une querelle (qui n’a pas le sens de celles de Molière ou Racine) sur l’art contemporain (qui fait néanmoins s’esclaffer au premier degré une grande partie du public) entraîne une réflexion profonde d’une part sur le beau et sur l’amitié d’autre part… En tout cas on est loin de Maîtres anciens de Thomas Bernhard pour prendre un texte qui pourrait avoir un grand nombre de points communs avec Art (qui n’est certes pas à l’origine une pièce, mais a néanmoins été adapté au théâtre dans les excellentes adaptations jouées par François Clavier aux Déchargeurs en 2022, mais aussi par Nicolas Bouchaud au Théâtre de la Bastille en 2021) autrement plus subversif, politiquement incorrect et férocement drôle.
L’achat par Serge d’un tableau blanc à 40 000 euros du prétendu célébrissime et « modernissime » Antrios, traité de « merde » par Serge et mettant le toujours indécis Yvan en position impossible et intenable d’arbitre, fait vaciller une amitié de 20 ans et la conduit au bout d’une heure de déchirement à une « période d’essai », après que chacun ait craché ses vieilles rancœurs très éloignées de leurs positionnements personnels sur la valeur de l’art et le sens du beau, tout en étant assez démagogique et simpliste sur l’élitisme dans le milieu artistique et le snobisme indistinctement assimilé à l’art contemporain (on n’ose imaginer ce que la majorité des spectateurs dirait en découvrant le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch qui a peut-être inspiré l’autrice) et ringard (a minima) sur « les bonnes femmes » « emmerdeuses ».
Reste le jeu complice des anciens Deschiens dans une sage mise en scène à aller applaudir entre vieux amis… ou pas…
Art, de Yasmina Reza
Mise en scène : François Morel
Scénographie : Edouard Laug
Costumes : Edouard Laug et Valérie Lévy
Lumières : Laurent Béal, assisté d’Emmanuelle Phelippeau-Viallard
Vidéo : Guillaume Ledun
Univers sonore : Antoine Sahler
Assistant mise en scène : Valentin Morel
Avec : Olivier Broche, François Morel, Olivier Saladin
Durée : 1h30
Du mardi au samedi à 19h et aussi le samedi à 16h30
Relâche les 7 octobre, 11 novembre et 9 décembre
Jusqu’au 20 décembre 2025
Théâtre Montparnasse
31 rue de la Gaîté
75014 Paris
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