© Philippe Gromelle
ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier
Avec une émotion contenue, Jean-Louis Grinda, le directeur des Chorégies d’Orange depuis 2016, a ouvert la soirée unique du 20 juillet en rendant hommage à la mezzo-soprane Béatrice Uria-Monzon, disparue la veille d’une longue maladie, dont le portrait souriant s’affichait sur le mur de scène, qu’elle connaissait bien pour y avoir chanté quatorze fois (dont deux fois Carmen où elle fut particulièrement remarquée), et qui a vu se déverser comme des torrents de larmes trois heures plus tard, empêchant l’opéra d’aller jusqu’au bout de son destin…
Cette Forza del destino fut néanmoins sublime dans le cadre somptueux du Théâtre antique qui suffit largement comme décor. En dépit du choix de la présenter en version concert, la mise en espace, la projection de très belles photos sur le mur et la direction d’acteurs des chanteurs étaient tout aussi intéressantes et captivantes que nombre de mises en scène en tant que telles. Sans costumes mais en habits de soirée, les solistes interagissaient entre eux de manière fluide et avec naturel. Ce fut encore un coup du destin que la réunion d’Anna Pirozzi et Russell Thomas dans les deux rôles principaux et qui avaient déjà chanté ensemble cet opéra en décembre 2022 à l’Opéra Bastille de manière imprévue puisque la soprane italienne avait alors remplacé Anna Netrebko, tandis qu’à Orange c’est le ténor américain qui remplaçait Brian Jadge initialement prévu. Et c’est comme si ce duo fonctionnait avec encore plus d’aisance et de complicité aux Chorégies que lorsque nous les avions vus trois ans plus tôt. Le ténor Russell Thomas, dans une belle veste de velours vert, a gagné en puissance et en nuances dans son rôle de Don Alvaro, ainsi qu’en présence scénique et Anna Pirozzi en majesté dans celui de Donna Leonora. L’autre duo formé par Russell Thomas avec le baryton Ariun Ganbaatar dans le rôle de Don Carlo di Vargas, le frère de Leonora, dans la scène 2 de l’Acte III fut également particulièrement harmonieux.
Remarquables furent aussi les seconds rôles, notamment la pétillante et non moins vigoureuse Maria Barakova dans le rôle de la sémillante Preziosilla, qui fait preuve de talents consommés d’actrice que nécessitent idéalement ce rôle, même si elle fut privée d’un passage attendu (le fameux rataplan avec le tambour dans la dernière scène de l’Acte III). Ainsi que Michele Pertusi dans le rôle du Padre Guardiano (en plus d’il Marchese di Calatrava), avec un très bel effet quand il monta quelques marches en fond de plateau comme s’il allait entrer dans l’Eglise dont la porte était projetée sur le mur, pendant le solo d’orgue, avant qu’il n’exhorte le chœur de respecter l’asile dans la sainte grotte de Leonora (dernière scène – X – de l’Acte II). La place réservée aux chœurs dans l’opéra fut en outre magnifiquement remplie par celui de l’Opéra de Lyon.
Le chef Daniele Rustioni a dirigé avec passion l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, placé sous le plateau, jusqu’à l’interruption forcée par le déluge et précipitant le sauvetage aussi rapide que possible des instruments et des pupitres, pendant que les artistes se mettaient à l’abri, ainsi qu’une partie du public, à part les irréductibles prévoyants, menus de capes de pluie ou parapluies et croyant jusqu’au bout que le ciel deviendrait plus clément. Las, cet opéra qui n’en n’est pas, depuis sa création en 1862 à Saint Pétersbourg, à son premier coup du sort, ne put reprendre, mais la magie avait opéré quand les spectateurs durent définitivement quitter les bancs de pierre, ruisselant sous l’orage à minuit passé, sans avoir vu Leonora assassinée par son frère pour venger leur père accidentellement tué par le fiancé non approuvé. Les cieux orangeois furent plus cléments aux héros sévillans que le désespoir du compositeur italien, alors en pleine crise existentielle, bien qu’au sommet de sa gloire quand il composa son plus sombre ouvrage.
© Philippe Gromelle
La Forza del Destino, de Giuseppe Verdi
Version de concert
Livret : Francesco Maria Piave
Direction musicale : Daniele Rustioni
Chef des chœurs : Benedict Kearns
Avec : Anna Pirozzi, Maria Barakova, Julie Pasturaud, Russell Thomas, Ariun Ganbaatar, Michele Pertusi, Ambrogio Maestri, Rodolphe Briand, Louis Morvan
Et l’orchestre de l’Opéra de Lyon et les Chœurs de l’Opéra de Lyon
Durée : 2h55 mn
Vu le 20 juillet à 21h30 lors des Chorégies d’Orange, au Théâtre antique, rue Madeleine Roch, 84100 Orange
www.choregies.fr (en association avec le festival d’Aix-en-Provence)
Tournée :
Opéra de Rennes, les 8, 9, 11 et 12 octobre 2025
Nantes Opéra, les 22, 23 novembre 2025
Angers, le 30 novembre 2025
Théâtre des Champs-Elysées, Paris, les 4 et 6 mai 2026
Théâtre de Caen, les 20 et 21 mai 2026
Avignon et Luxembourg en 2027
comment closed