© Quentin Chevrier
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
« Changez de disque ! » est-il demandé en préambule de cette performance, comme une injonction à changer de discours. Sur le plateau la jeunesse de banlieue remet les pendules à l’heure. En réaction au film polémique de Cédric Jimenez, Bac Nord, point de vue de trois policiers sur la banlieue vue comme une zone de non-droit où circule une économie parallèle, une violence endémique, Marina Gomes signe une chorégraphie puissante qui interroge cette stigmatisation, démonte les clichés sur les cités sans en occulter la violence existante, laquelle est aussi – ne nous leurrons pas – du côté des politiques. Des ateliers menés avec une centaine d’adolescents et adolescentes des quartiers nord de Marseille, la chorégraphe fait oeuvre puissante pour casser les préjugés qui occultent une réalité plus complexe et nuancée qui ne se résume pas au tweet de Marine Le Pen sur les banlieues « La réalité c’est Bac Nord ! ». A partir de la gestuelle proposée par ces jeunes, retravaillée, augmentée, de leur culture et pratique du Hip-Hop, Marina Gomes signe une chorégraphie d’une beauté rude à couper le souffle, entre agressivité feinte et grâce absolue. Une agressivité qui n’est qu’un jeu de rôle, une image qu’ils savent attendue, un cliché qu’ils nous renvoient à la face comme un défi absurde et qui n’est qu’un leurre. Il faut les voir débouler sur le plateau, cagoulés et défiant les spectateurs tandis que s’égrène à la guitare l’adaptation de la sonate pour violon n°1 BWV 1001 de Bach, avant que cette adaptation signée Arsène Magnard ne navigue vers le Hip-Hop mâtiné de Drill et de Shatta, d’électro. Et bientôt tombent les masques et c’est une explosion chorégraphique fiévreuse, bouleversante, où chacun d’exprimer sa réalité mais où prime aussi la force du collectif et la solidarité. A l’image de ce mur que forment soudain leurs corps comme soudés les uns aux autres, un bloc impénétrable et protecteur face aux préjugés. Plus loin, l’image radieuse aussi d’une ronde joyeuse d’inspiration traditionnelle. Ce que l’on ressent là c’est quelque chose de vital, une urgence, comme si la danse sans les exonérer de leur quotidien était non un exutoire mais une réponse cinglante à la stigmatisation dont ils sont l’objet. Marina Gomes dénonce ainsi avec eux et par eux la représentation aussi bien médiatique qu’artistique sans nuance les cantonnant dans une réalité lapidaire qui si elle existe bien, laquelle est dûment exploitée à des fins spectaculaires et politiques, n’est pas la seule constitutive des banlieues. La réussite de cette œuvre tient beaucoup à l’engagement de ces jeunes qui insufflent dans cette chorégraphie une part d’eux même, sans doute la plus intime, la plus fragile aussi, entre exaltation et épuisement, avec la conviction sans doute chevillée qu’ils ne peuvent ni ne veulent être réduits à un cliché qui les enferme et dont ils ne pourraient sortir. En ce sens danser ici est une réappropriation de la parole, de celle qu’on ne leur donne pas, qu’on leur refuse, et la démonstration d’une ouverture toujours possible. Pour le festival Paris l’été de jeunes franciliens et franciliennes, une mixité qui a son importance, intègrent la compagnie de cette chorégraphe pour cette performance sans concession mais qui emporte le public avec elle. Pour preuve, à peine avaient-ils terminé, 30 minutes qui vous époustouflaient autant qu’elles vous touchaient profondement, le public debout et bouleversé les ovationnait.
© Quentin Chevrier
Bach Nord [Sortez les guitares], conception et direction artistique Marina Gomez
Création musicale : Arsène Magnard
Lumières : Claude Casas
Avec : Marina Gomes, Matthieu Corosine, Yanice Djae, Andréas Maanli, Oumy Noor Ali, Pierre Zeltner-Reig, Sonia Chetioui, Ayaba Ardouin, Maelo Hernandez, Cédric Panzo, Arsène Magnard, Morane Slimani
Le 25 juillet au Lycée Henri Bergson, 17h et 20h
75019 Paris
Les 26 et 27 juillet au Palais de la Porte dorée à 18h
75012 Paris
Réservation : 01 44 94 98 00
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