© Monika Rittershaus
ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier
Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’Olympe. Jupiter, tel un Don Juan ou Valmont divin redescendu sur terre pour « réensemencer » le monde collectionne les nymphettes innocentes, mais à la différence de ces libertins humains sans épouse légitime, Junon essaie autant que possible de poursuivre les amantes de son incorrigible époux, et plutôt que de s’en prendre à lui, elle redouble de fureur contre sa nouvelle rivale. Calisto est une double victime. Celle des poursuites insistantes du Dieu infidèle et celle du couple qui la punit doublement une fois l’assaut sexuel découvert par là aussi une double méprise. Le Dieu pousse la perversité à se travestir pour obtenir un abusif consentement et la jeune fille naïve en fait indirectement le récit à son épouse en furie. Dans Les Métamorphoses d’Ovide dont le librettiste Giovanni Faustini s’est inspiré, la scène de la grotte est décrite sans ambiguïté comme un viol. Elle se transforme dans l’opéra en une expérience charnelle épanouissante. Etait-ce pour la faire mieux accepter dans la société de l’époque ou pour mieux faire passer l’étonnante scène d’amour saphique, qui semble être inédite à l’opéra, et plus encore dans ce siècle baroque ? Car Calisto aime Diane, d’un amour qui n’entend pas se contenter d’une relation platonique, laquelle Diane n’est finalement pas plus chaste bien que patronne des jeunes vierges, car éprise, comme à son corps défendant, d’Endymion. Et toutes ces amours contrariées finiront par être démasquées et donner un goût acide ou amer et moins léger qu’il n’y paraît à cette œuvre discrètement subversive et pleine d’ambiguïtés.
L’idée de la metteuse en scène Jetske Mijnssen, qui n’en est pas à son premier opéra baroque, de le placer dans le siècle libertin et l’imaginaire des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos était intéressante, mais l’on regrette qu’elle n’ait pas poussé plus loin l’atmosphère décadente avec sa scénographe Julia Katharina Berndt, car au final ce sont des tableaux très sages et aussi précieux qu’élégants (décors comme costumes) qui se produisent sur scène, voire même un peu froids ou austères avec la présence permanente de ces immenses panneaux de bois blonds prolongés dans certaines scènes par le plateau central monté sur une tournette qui permet de petits changements de décors. Rien d’extravagant, ni de spectaculaire pour un opéra qui aurait pu appeler dans la tradition du baroque vénitien des effets de magie et de machinerie offrant davantage d’éblouissement. Toutefois, on retiendra tout de même, sur le plan scénographique, le tableau du Prologue qui est particulièrement saisissant avec cet immense cercueil noir de Calisto entouré par les personnages secondaires de Pan, Junon et Satyre qui personnifient la Nature, l’Eternité et le Destin ; mais aussi pour ce qui concerne la mise en scène, la double transformation (en ourse par Junon, en constellation par Jupiter) qui se mue en un crime de légitime défense par Calisto semblant avoir perdu son innocence et finissant contre toute attente par dominer la scène finale, ce qui est très éloigné de la soumission originelle à son sort éternel, et change beaucoup la couleur de l’œuvre, même si cela peut paraître un peu plaqué, mais ne permet en tout cas plus de conclure comme Kobé, qu’avec La Calisto « nous sommes dans un monde qui touche la farce bien plus que le drame ».
La surprise pour les amateurs et connaisseurs d’opéra baroque vient plutôt de la recréation de La Calisto telle que l’a imaginée Sébastien Daucé au bout de deux années de travail. Il faut préciser que cet opéra en deux actes fut créé en 1651 à Venise dans le théâtre San Apollinare, qui n’accueillait qu’une centaine de spectateurs et un orchestre réduit à six musiciens ! Dans l’écrin certes du Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence, Sébastien Doucé ne pouvait néanmoins pas se contenter d’une formation aussi réduite qu’il a porté à une trentaine de musiciens avec son Ensemble Correspondances. Il a également pris le parti d’ajouter des courtes musiques additionnelles (pas seulement de Cavalli) pour des scènes chorégraphiées à l’emplacement des pièces de ballet perdues.
La distribution est splendide. La jeune soprane Lauranne Oliva offre la plus belle des prestations, aussi convaincante dans sa maîtrise vocale que dans son jeu d’ingénue et dans l’évolution de son rôle-titre dans la scène finale. La basse Alex Rosen avait sans doute la plus lourde tâche, devant convaincre aussi bien dans son rôle de mâle dominant pervers, que dans son travestissement sans paraître ridicule. C’est moins le port de la robe de Diane qui était périlleux que celui de la partie chantée, généralement confiée à la vraie Diane. Il relève bien le défi en lui donnant une part comique sans lourdeur excessive qui divertit en tout cas beaucoup le public d’Aix-en-Provence. La mezzo-soprane Giuseppina Bridelli est dans la maîtrise totale de son rôle à la psychologie complexe, à la fois hautaine et autoritaire et dévorée par la culpabilité des désirs qui l’étouffe et son attirance pour Endymion, lequel est chanté par le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian avec beaucoup de sensibilité. La furie de Junon trouve toute son épaisseur tragique avec la mezzo-soprano Anna Bonitatibus. Les autres seconds rôles chantés par Zachary Wilder (Linfea), David Portillo (Pan), Dominic Sedgwick (Mercure), Théo Imart (Satyre), José Coca Loza (Sylvain), sont également réjouissants.
Au final, en dépit de l’excellence des chanteurs, il n’est pas certain que cette œuvre peu jouée de Cavalli, ce disciple audacieux de Monteverdi, puisse trouver sans difficulté, en dehors des baroqueux, son public au XXIe siècle, car c’est justement sans doute le manque d’audace et d’intensité qui domine en ressortant de ce joyau du XVIIe qu’est la Cour de l’Ancien Archevêché d’Aix-en-Provence, aujourd’hui lieu emblématique du Festival idéal pour contempler les étoiles…
© Monika Rittershaus
La Calisto, de Francesco Cavalli
Direction musicale : Sébastien Daucé
Mise en scène : Jetske Mijnssen
Scénographie : Julia Katharina Berndt
Costumes : Hannah Clark
Lumière : Matthew Richardson
Chorégraphie : Dustin Klein
Dramaturgie : Kathrin Brunner
Avec : Lauranne Oliva, Alex Rosen, Giuseppina Bridelli, Paul-Antoine Bénos-Djian, Anna Bonitatibus, Zachary Wilder, David Portillo, Dominic Sedgwick, Théo Imart, José Coca Loza
Et l’Ensemble Correspondances
Durée : 3h10 avec entracte
En italien (surtitré en français et en anglais)
Du 7 au 21 juillet à 21h30
Théâtre de l’Archevêché
28, Place des Martyrs de la Résistance
13100 Aix-en-Provence
www.festival-aix.com
En tournée :
Opéra de Rennes : 8, 9, 11 et 12 octobre 2025
Opéra de Nantes : 22 et 23 novembre 2025
Opéra d’Angers : 30 novembre 2025
Théâtre des Champs-Élysées : 4 et 6 mai 2026
Théâtre de Caen : 20 et 21 mai 2026
Avignon et au Luxembourg en 2027
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