© Christophe Raynaud-Delage
ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier
C’est la deuxième fois que le génocide au Rwanda fait l’objet d’une création au Festival d’Avignon. En 1999 d’abord, avec un recul de seulement quelques années, Jacques Delcuvellerie présentait Rwanda 94 au gymnase du Lycée Aubanel dans une perspective documentaire. Cette année, dans c’est le Cloître des Célestins (ainsi qu’au Théâtre Benoît XII dans l’un des épisodes de Radio Live dont on reparlera au Fauteuil pour l’orchestre) qui a servi d’écrin au spectacle de Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, qu’ils ont conçu pour être joué en extérieur, mais dans un tout autre environnement, celui des villages des collines rwandaises, et de sa capitale Kigali où les massacres entre Tutsis et Hutus ont causé un million de morts il y a 30 ans. Le spectacle se présente comme une adaptation du roman à succès de Gaël Faye sorti il y a presque 10 ans.
Gahugu Gato (Petit pays) s’éloigne de la dimension documentaire de son prédécesseur à Avignon, mais aurait pu emprunter le même sous-titre (Une tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants), car même si le récit est totalement fictionnel, il ne peut évidemment s’abstraire des éléments factuels de cette Histoire récente et aboutit nécessairement à un travail de mémoire et de transmission.
Le spectacle est tout en épure scénographique et poétique, dans un bel équilibre entre le fil narratif, l’utilisation de la musique, des chants et des danses, ainsi qu’un humour latent (notamment dans la reprise du récit de la circoncision), toujours indispensable pour raconter les pires horreurs. Car comme chacun le sait, la folie qui s’est emparée du pays après l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, a dépassé toutes les bornes de la barbarie humaine. Gaby, d’abord personnifié par le formidable jeune danseur en tee-shirt jaune, parcourt le plateau en se bouchant les oreilles, genoux pliés, corps convulsé par ce qu’il perçoit des histoires (intimes et politiques mêlées) des adultes, dans un réflexe de protection, d’échappatoire. Pourtant, son père avait bien dit que « les enfants ne doivent pas se mêler de politique ». Ce père qui lui avait expliqué aussi que le pays se divisait en trois ethnies qui se distinguent non pas par leur pays, leur langue ou leur dieu, mais par l’épaisseur de leurs nez… La perception de l’enfant est ensuite jouée par chacun des comédiens (hommes comme femmes), ce qui perturbe sans doute un peu la compréhension des spectateurs qui n’auraient pas lu le roman de Gaël Faye, mais attise aussi avec intérêt l’attention et décuple l’émotion dans l’adresse à la mère. Cette mère qui s’est enfuie de ce « pays maudit », le Burundi, où elle s’était réfugiée après le premier génocide de 1963. Cette mère dont la voix « caressait l’âme » mais que son mari ne comprenait pas. Un jurassien venu « prolonger ses rêves d’enfant gâté d’Occident » en Afrique. Lui cherchant l’aventure et la vie facile, elle la sécurité pour élever ses enfants « dans un pays où l’on ne craint pas de mourir » à tout moment. Cette mère qui prend durant son absence la forme d’une coiffe de tissus colorés.
La langue kinyarwanda (surtitrée) utilisée (avec le français et l’anglais) par les excellents dix interprètes Rwandais et Burundais, permet d’établir une prise de distance avec la lourdeur du sujet, pour les spectateurs du Festival en tout cas, et entre en dialogue avec la guitare, la flûte et l’inanga, mais aussi avec les étourneaux et chauve-souris qui tournoient autour des platanes et des cimes du Cloître avignonnais, comme un lointain écho à l’importance symbolique du végétal (et notamment des arbres) des régions montagneuses du cœur de l’Afrique. Et on se prend à rêver, avec la mélancolie de la honte de la sauvagerie humaine à ce que ce Gahugu Gato (Petit pays) retrouve pour de bon la paix, après que chacun ait balayé (au sens propre à la fin de la représentation) devant sa porte, Français compris (après les inadmissibles dérives de « l’opération Turquoise » à laquelle Gael Faye a consacré un documentaire avec Michael Sztanke) et invente « un nouveau pays ».
© Christophe Raynaud-Delage
Gahugu Gato (Petit pays), d’après Gaël Faye
Mise en scène : Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire
Avec la complicité de Gaël Faye
Traduction : Emmanuel Munyarukumbunzi
Basée sur l’adaptation française de Samuel Gallet
Lumière : Eloé Leve
Costumes : Asantii, House of Tayo, Moshions
Surtitrage : Patience Umutoni
Régie générale : Eloé Level
Régie son : Foucault de Malet
Avec : Frédéric Fisbach, Olivier Hakizimana, Léon Mandali, Carine Maniraguha, Philipe Mirasano,Natacha Muziramakenga, Dida Nibagwire, Norbert Regero, Michael Sengazi et Jean-Patient Akayezu (inanga, flûte et chant), Kaya Byinshii (chant), Samuel Kamanzi (guitare et chant)
Durée : 1h45
En français et en kinyarwanda (surtitrage en français et anglais)
Du 17 au 22 juillet à 22h
Cloître des Célestins
Place des Corps-Saints
84000 Avignon
www.festival-avignon.com
En tournée :
Du 18 au 20 mai 2026 à MIXT, Terrain d’arts en Loire-Atlantique (Nantes)
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