© Christophe Raynaud-Delage
ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier
Ce que l’on retient principalement en sortant de La distance c’est un duo. Tiago Rodrigues sait faire. Son Chœur des amants (mais aussi parce que joué par Alma Palacios et David Geselson) nous avait bouleversée il y a quelques années.
Ici ce sont Alison Dechamps et Adama Diop qui crèvent non pas l’écran, mais le quatrième mur. Ils nous emportent dans leur tourbillon aux sens propre et figuré. Car ils tourbillonnent les deux comédiens. Placés sur un dispositif circulaire actionné par une tournette, leur plateau est constamment mobile et parfois à très grande vitesse (en corrélation avec le temps qui passe) ; on n’ose imaginer le type de préparation qu’ont suivi les comédiens pour ne pas tourner de l’œil sur scène. Mais finalement cela va avec le contexte de la pièce. On est en 2077 entre la Terre et Mars. Amina est partie faire la grande traversée. D’abord sans vouloir laisser de traces. Pas juste quelque chose du type de l’escapade maritime de son enfance, en désobéissant à son père, mais un voyage définitif sur la planète rouge, sans avertir son géniteur. Un périple sans retour car cette possibilité écartée, c’est le cercle des « oubliants » qu’elle veut rejoindre. Son père reste seul sur terre où trois « effondrements » ont déjà eu lieu. La communication n’est possible que par messagerie. Il est resté sans nouvelle de son « soleil » pendant des mois. On le découvre en pleine angoisse dans un décor très épuré facile à décoder (des matériaux végétaux morts mais aux couleurs chaudes) et à utiliser par les comédiens.
Si le texte n’est formellement pas aussi intéressant qu’un de ses autres duos (Antoine et Cléopâtre) manquant d’un peu d’audace ou d’originalité, proposant un comique de répétition inutile (la plaisanterie des tomates et de l’huile d’olive), sur le fond il n’est pas qu’une histoire de science-fiction, non plus qu’une fable politique. Les éléments (socio, géopo, historiques) liées aux agissements de la Corpo nation, sont très rapidement évacués par des propos généraux et sans danger (« oublier l’histoire pour un monde nouveau » ; « réussir à inventer une nouvelle humanité ») semblant ne pas avoir le degré d’importance ou d’urgence que l’on avait ressenti dans Catarina et la beauté de tuer des fascistes ou Dans la mesure de l’impossible.
En réalité, c’est davantage le lien parental qui est interrogé, ainsi que la question de la transmission de la mémoire familiale (qui peut passer par des photos ou une chanson, en l’occurrence Sohnos par Caetano Veloso) et plus encore l’acquisition de l’indépendance et de la liberté. Une histoire qui parle sans doute le mieux à la génération Z. De fait, deux jeunes filles pleuraient à chaudes larmes à côté de moi, s’identifiant sans doute au personnage d’Amina porté par la jeune Alison Dechamps tout juste sortie de son école de théâtre et qui foule le plateau avec une aisance confondante (y compris jouant avec à propos du regard lorsqu’un téléphone s’est mis à sonner dans le public, à un moment « idéal ») et une personnalité très affirmée qui colle merveilleusement à son rôle de rebelle face à Adama Diop sensible et attachant. L’émotion cathartique eut l’air de donner à ces jeunes spectatrices grande envie de retourner au théâtre, ce qui est un pari déjà réussi par La distance.
© Christophe Raynaud-Delage
La distance, écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues
Traduction : Thomas Resendes (français), Daniel Hahn (anglais)
Scénographie : Fernando Ribeiro
Costumes : José António Tenente
Lumière : Rui Monteiro
Musique et son : Pedro Costa
Collaboration artistique : Sophie Bricaire
Assistanat à la mise en scène : André Pato
Stagiaire à la mise en scène : Thomas Medioni
Avec : Alison Dechamps, Adama Diop
Durée : 1h25
Jusqu’au 26 juillet à 12h
L’autre Scène du Grand Avignon – Vedène
Avenue Pierre de Coubertin – 84 270 Vedène
www.festival-avignon.com
En tournée :
Divadlo International Theatre Festival, Pilsen (République Tchèque) :
les 10 et 11 septembre 2025
Plovdiv Drama Theatre (Bulgarie)
les 17 et 18 septembre 2025
Malakoff Scène nationale – Théâtre 71
du 1er au 3 octobre 2025
De Singel, Anvers (Belgique)
les 10 et 11 octobre 2025
Le Maillon, Théâtre de Strasbourg Scène européenne
du 15 au 17 octobre 2025
Teatro Stabile di Napoli (Italie)
du 22 au 24 octobre 2025
La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
du 5 au 7 novembre 2025
Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse)
du 13 au 23 novembre 2025
MC2, Grenoble
les 26 et 27 novembre 2025
Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux
le 1er décembre 2025
Centro Dramático Nacional, Madrid (Espagne)
du 15 au 18 janvier 2026
Teatre Lliure, Barcelone (Espagne)
du 21 au 25 janvier 2026
Le Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque
les 29 et 30 janvier 2026
Le Volcan, Scène nationale du Havre
les 3 et 4 février 2026
Onassis Stegi, Athènes (Grèce)
du 7 au 10 mai 2026
Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa, Milan (Italie)
les 15 et 16 mai 2026
Théâtre de Grasse, Scène conventionnée d’intérêt national Art & Création
les 21 et 22 mai 2026
Scènes et Cinés, Scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire, Istres
les 27 et 28 mai 2026
Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
les 2 et 3 juin 2026
comment closed