© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier
La cohésion, la cohérence et la communion qui faisaient défaut la veille dans la Cour d’honneur étaient au rendez-vous le lendemain dans la Cour du lycée Saint-Joseph pour une nouvelle soirée unique, toujours en partenariat avec l’Institut du monde arabe. Une nuit plutôt, ou même une veillée comme l’a précisé Radhouane El Meddeb, l’un de ses concepteurs en prologue, se réappropriant des mots de Mahmoud Darwich pour expliquer l’esprit des heures à venir dans ce lieu propice d’Avignon : « rassembler » en « amplifiant les voix » de cette langue « multiple » pour mieux la faire exister. La poésie comme arme pour dire la dignité, la justice et la liberté. Cette musique de mots qui « veille » et qui « relie ». Nour qui veut dire lumière, car de fait la langue éclaire et libère.
Nour a fait honneur à la poésie de langue arabe, qu’elle soit récitée, lue, psalmodiée, chantée et l’on aurait presque envie de dire dansée. Après l’introduction précitée, une vingtaine d’artistes entrent ensemble, faisant corps, sur le plateau, dans leur magnifiques personnalités, origines (Tunisie, Palestine, Syrie, Egypte, Arabie saoudite, Koweït, Liban, Iran, Maroc, et France) et énergies. Un festival de mots, de sonorités, de tessitures, de gestes, de sourires fut offert au public pendant plus de trois heures sans temps morts, une veillée qui aurait pu durer jusqu’au petit matin.
Darwich se demandait dans le sillage d’Hölderlin comment l’on peut encore écrire des poèmes dans ce monde dément. Mais à la différence d’Adorno qui considérait qu’écrire des poèmes après Auschwitz était barbare, le poète palestinien estimait que la poésie permet de résister à une humanité inhumaine, car si la poésie peut blesser c’est sans faire couler le sang.
Nour n’a pas fait couler le sang mais fait S’envoler les colombes (Darwich) avec l’irrésistible Rodolfe Burger et la majestueuse Lobna Noomene, cheveux tirés, en robe rouge de diva, interprète également de La fleur des cités de Fayruz ; donné envie de danser avec le groove unique d’Abo Gabi ; mis en apesanteur par les mots des poétesses syrienne et kowetienne Hala Mohammad et Jumana Mustafa, mais aussi ceux de de Maram el Masri ; fait rêver avec la flute traversière de Naïssam Jalal s’entremêlant de manière magique à ses vocalises ; haleté avec l’intrépide Emel Mathlouthi qui a électrisé le public avec ses textes hypnotiques Holm et Dhalem ; fait se sentir captive de la pétillante Nawel ben Kraïem, aussi bonne chanteuse (notamment avec les vers de Râbia Al Adawiya) que performeuse (et danseuse comme l’épilogue l’a démontré !) ; s’être laissé enveloppée par la douceur envoûtante de Walid ben Selim et la poésie soufie ; et enfin avoir frémis à plusieurs reprises avec la merveilleuse Lynn Adib, dont le chant va directement au cœur (pardon pour la banalité mais c’est tellement vrai), qui est également contrebassiste.
Le pianiste Ayad Khalifé, le joueur de qanum Nidhal Jaoua et le percussionniste Naghib Shanbehzadeh étaient à l’écoute des chanteurs et de la poésie et enfin le violoncelle sublime de Sary Khalifé qui aurait pu nous bercer toute la nuit, seul, jusqu’au lendemain.
Et n’oublions pas les danseurs Nadim Bahsoun et Samaa Wakim, ainsi que Walter Laureti, discrètement assis par terre comme dans un caravansérail, mais aux manettes de l’ambiance sonore du spectacle créant le liant qui faisait défaut entre les artistes la veille, à la Cour d’honneur, et qui était pourtant extrêmement subtil à régler et trouver avec autant d’artistes et de textes.
Nour fut une nuit de lumière dans Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage
Nour. Une célébration poétique de la langue arabe
Avec l’Institut du monde arabe
Direction artistique et musicale : Julien Colardelle, Radhouane El Meddeb
Vidéo : Randa Mirza
Consultants poésie : Rima Abdul-Malak, Farouk Mardam-Bey
Direction technique : Manuel Desfeux
Régie son : Stéphane Bureau, Audrey Schiavi
Avec : Mohammed Al-Qudwa, Lynn Adib, Nadim Bahsoun, Rim Battal, Nawel Ben Kraïem, Walid Ben Selim, Rodolphe Burger, Abo Gabi, Naïssam Jalal, Nidhal Jaoua, Ahmad Katlesh, Sary & Ayad Khalifé, Walter Laureti, Mahdi Mansour, Emel Mathlouthi, Abdullah Miniawy, Hala Mohammad, Ashtar Muallem, Jumana Mustafa, Lobna Noomene, Naghib Shanbehzadeh et Samaa Wakim.
Durée : 3h15
Date unique : 15 juillet 2025
Cour du lycée Saint Joseph
62 rue des Lices
84000 Avignon
www.festival-avignon.com
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