© Christophe Raynaud-Delage
ƒ article d’Emmanuelle Saulnier
C’est le genre de soirée que l’on déteste avoir détesté. C’est le genre de soirée que l’on attendait si fort que la déception n’en est que plus grande. Le genre de soirée où l’on aurait parié sortir une heure plus tard au moins après la fin officielle tant la salle aurait été en transe sous le ciel étoilé de la Cour et aurait réclamé des rappels les uns après les autres que les musiciens se seraient empressés d’enchaîner à l’unisson avec le public pour faire la fête jusqu’au petit matin comme dans les plus grands concerts. Une soirée où le cœur devrait vibrer dès les premières mesures, où des éclairs devraient transpercer l’échine dès les premières syllabes prononcées, où le corps ne peut se retenir de danser avant de se rassoir terrassé par l’émotion et reconnaissant.
Rien de tout cela ne s’est passé dans la Cour le 14 juillet. On a assisté à un spectacle assez convenu, où des artistes se sont succédé, dans leurs respectives individualités (s’agissant des chanteurs), ne faisant jamais vraiment communion ni avec les musiciens en dépit de leur excellence et ni entre eux. Aucune complicité n’était possible puisqu’aucune rencontre entre eux n’a eu lieu jusqu’aux saluts.
Pourtant l’intitulé lui-même de la soirée était ambitieux !
Oum Kalthoum. La Voix des femmes. Une célébration des 50 ans de la disparition de l’Astre d’Orient plaçait la barre très tôt et promettait une célébration des femmes et un hommage à la carrière d’une des plus grandes d’entre elles. Des femmes il y en eut, mais en minorité finalement sur le plateau, ce qui est un comble. Ce n’est nullement pour faire du féminisme de bas étage, mais pourquoi ce titre alors ? On aurait pu imaginer qu’il n’était pas nécessaire pour une fois et avec une telle annonce de donner le micro à des chanteurs et que la revisitation de l’univers d’Oum Kalthoum permettrait de découvrir des instrumentistes de sexe féminin. Le plateau vocal est pourtant distribué à égalité entre chanteuses et chanteurs. Parmi ces derniers, le chanteur (poète, compositeur et acteur…) saoudien Abdullah Miniawy et deux jeunes rappeurs. On fera grâce au premier. Par contre au risque de passer en plus pour ringarde (à tort) sur le genre du rap, on se demande encore pourquoi ils ont été intégrés au spectacle. On avait presque envie de répondre à Rouhnaa qui disait (tellement) s’en « battre les couilles » et avoir si « mal à la tête » (ce qui au premier degré était possible pour tout le monde tant la sono était presque digne d’un concert de métal) que nous aussi. Quant à Dany, une jolie voix pleine de promesse, mais qui n’emporte pas la foule non plus ; ni son texte, ni sa personnalité ne nous ont paru justifier sa présence dans cette soirée dédiée à Oum Kalthoum.
Du côté des femmes, celle qui aurait pu faire flamber la soirée est Camélia Jordana, qui déjà dès son entrée sur scène, en long fourreau blanc et lunettes de soleil rendait hommage à la diva, a chanté un Enta Omri inspiré.
© Christophe Raynaud-Delage
Natasha Atlas a déçu. Très figée, elle ne semblait pas, comme d’autres artistes d’ailleurs, vraiment à l’aise sur le plateau, et sa voix presque retenue par rapport à ses prestations habituelles plus ardentes, tout comme Souad Massi. A leur décharge, insuffisamment d’espace et de temps finalement leur étaient offert pour leur permettre de s’épanouir sur scène et se relier au public, en dépit des tentatives de Maryam Saleh notamment. Il aurait vraiment été plus judicieux de laisser à ces femmes d’envergure occuper totalement l’espace-temps de la soirée. Qui trop embrasse mal étreint. Celui qui aurait pu nous étreindre fut la belle surprise de la soirée, le danseur Kevin Cortes, mêlant le voguing et dancehall à la danse arabe, dans une fusion époustouflante. Mais pourquoi l’avoir collé contre le mur du Palais côté jardin, empêchant certainement nombre de spectateurs de pouvoir profiter pleinement de son talent ? On aurait adoré le voir revenir. Tournoyer en devant de scène autour de Camélia Jordana ou d’une autre soliste. Oum Kalthoum aurait probablement apprécié cette audace et la perfection de sa gestuelle.
Le musicien et libanais Zeid Hamdan qui est connu pour ses réinterprétations de la musique classique arabe, avait confessé pourtant ne pas connaître si bien l’univers d’Oum Kalthoum avant de se voir confier le projet. Pourquoi pas ? Un regard vierge peut parfois être intéressant et permettre justement un nouveau regard. Mais de fait, le pari n’est pas remporté et ce n’est pas non plus une question de réglage d’un spectacle unique puisque la création a eu lieu au Printemps de Bourges le 17 avril dernier, partenaire avec l’Institut du monde arabe. En dépit de l’énergie déployée par le compositeur et musicien à la basse et guitare aux côtés du formidable batteur Uriel Barthelemi qui a offert un splendide solo (mais qui aurait très bien pu être joué dans un concert en l’honneur d’un ou d’une musicienne nordique ou asiatique), à aucun moment, le spectacle ne décolle et n’offre une quelconque intensité. Les quatre instrumentistes de musique arabe sont pourtant excellents, au violon (Marwan Fakir), qanun (Khalil Chekir), luth (Oussama Abdelfattah) et percussion (Mohanad Aljaramani). D’ailleurs, cette séparation entre musique occidentale côté jardin, musique arabe côté cour est également symbolique ; jamais les deux univers ne se parlent vraiment.
Enfin, le surtitrage anticipé se superposant dans une typo peu heureuse (vintage ?) à des vidéos sans intérêt, n’a pas vraiment facilité le passage de l’émotion, quand bien même on peut trouver utile de connaître le sens légèrement en amont des mélodies.
Au final, La Voix des femmes ennuie une grande partie des spectateurs (et l’on taira le nom de l’une des chanteuses aperçue derrière la scène baillant en écoutant ses camarades) et l’on est contre toute attente soulagée de voir l’heure de fin approcher, qui est même arrivée plus tôt qu’annoncée, sans rappel aucun, après des applaudissements polis et une tentative de faire entonner « Free Palestine » par le public, qui est partagé de spectacle en spectacle sur ces démonstrations politiques au plateau.
Pour ce qui est de l’hommage à « l’Astre d’Orient », l’immense tragédienne de la musique arabe fut en quelque sorte la grande oubliée de la soirée…
© Christophe Raynaud-Delage
Oum Kalthoum. La Voix des femmes. Une célébration des 50 ans de la disparition de l’Astre d’Orient
Direction musicale : Zeid Hamdan
Avec : Natacha Atlas, Danyl, Camelia Jordana, Souad Massi, Abdullah Miniawy, Maryam Saleh, Rouhnaa et Oussama Abdelfattah, Uriel Barthelemi, Khalil Chekir, Kevin Cortes, Marwan Fakir, Mohanad Aljaramani
Durée : 2h
Date unique : 14 juillet 2025
Cour d’honneur du Palais des papes
Place du Palais des Papes
84000 Avignon
www.festival-avignon.com
comment closed