© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Ah, la Suisse ! Ses montagnes, ses verts pâturages, ses vaches, son hygiène, sa neutralité, ses banques, son sommet de Davos, et son chocolat, « Ovomaltine, c’est de la dynamite » vantait la célèbre publicité helvète.
Heureusement il y a l’humour de Christophe Marthaler, le plus dadaïste des Suisses, faisant apparaître La Joconde sur un monte-charge dans Le sommet, clin d’œil probable à Marcel Duchamps qui l’a copieusement parodiée dans une œuvre célèbre.
Le sommet de Marthaler désigne une réunion importante et une cime, en français, en anglais, en allemand comme en italien. Son « G7 » se passe donc (quelle coïncidence !) dans un chalet, empalé par une cime, un rocher de pierre, qu’il recouvre tout entier, avec des lits en mezzanine, quelques placards vintages, le tout éclairé par de simples néons. Six personnages en quête de hauteur de plusieurs nationalités vont apparaître, servis sur un plateau si l’on peut dire à partir du monte-plat en godillots à lacets, chapeaux tyroliens, pull et culottes de peau tyroliennes.
On se croirait dans un film de Wes Anderson où des individus un peu dingues vivent des aventures complètement barrées dans des maisons de poupées géantes fourmillant de micro détails. La cabane d’Ali Baba est un spectacle en soi, un téléviseur surgit du mur, une vierge de plâtre se met à blablater, les toilettes s’effondrent, des extincteurs gonflables se font la malle. Le petit monde d’en haut est passablement déboussolé, « Je ne sais plus je ne comprends plus je deviens sourde et niaise je suis perdue je n’ai plus moyen de comprendre je ne comprends pas un mot je ne sais plus entendre je n’entends plus rien », clame au téléphone une femme, par la voix du poète Christophe Tarkos. « Oui-si-ja-but-yes… », ils égrènent un abécédaire multilingue mais le langage commun vient des chansons. Il faut les voir réchauffer leur petite cime comme on berce sa poupée, de crainte qu’elle n’ait froid, sur Good Night, des Beatles.
Les bruits du quotidien sont exagérés au point de devenir burlesques (crissements, kits de survie qui surgissent du mur en couinant, bâtons de ski fendus qui s’entrechoquent). Chez Marthaler le son parle. Pas de dialogue au sens classique, mais la voix humaine n’est pas bannie, car les interjections, les rires forcés, les exclamations, les citations sont éminemment explicites. On pense à la fameuse scène du Dictateur ou Hinke, au râle diabolique, se dirige en dansant vers la fenêtre puis grimpe au sommet du rideau, totalement en apesanteur. Un casting de haut vol, chacun sa partition, une femme est éternellement renfrognée (Charlotte Clamens), une autre un peu bigote (Federica Fracassi, qui porte des stigmates sur le torse), une grande asperge à cheveux roux (Graham F. Valentine, l’Écossais), dada en personne, se dandine avec componction, Raphael Clamer jouit de sa puissance, il donne le la à coup de claques sur les joues. Quant au maître de cérémonie (Lucas Metzenbauer), parfaitement inaudible dans son dialecte helvète (ou autrichien, allez savoir), ses instruments parlent pour lui. Il sera question de séance de gymnastique à bâtons renversés, de télex interminable soulevant l’hilarité générale, de commémoration avec séance photo, de saunas improvisés, d’exercices de survie…
Le sommet, entre cinéma muet, comédie musicale et cabaret satirique est une polyphonie équilibrée réunissant la voix humaine, la musique et les bruits sur un seul et même plan sonore, une synthèse parfaite visuelle et auditive. Il est à l’image de la Suisse et de l’Europe quand il s’agit de trouver une position commune. Six petits êtres touchants se battent avec les mots, les objets, les éléments. L’unité surgit parfois, là où on ne l’attendait pas, loin des grandes déclarations, dans les silences angoissés, les élans d’enthousiasmes infantiles, sur fond d’effondrement climatique et politique.
Une marqueterie théâtrale désopilante qui fera date ! Foncez-y !
© Christophe Raynaud de Lage
Le Sommet de Christophe Marthaler
Mise en scène : Christophe Marthaler
Dramaturgie : Malte Ubenauf
Scénographie : Duri Bischoff
Costume : Sara Kittelmann
Lumière : Laurent Junod
Son : Charlotte Constant
En allemand, anglais, français, italien, surtitré en français et anglais
Durée : 1h50
12, 13, 14 et 17 juillet à 13h, le 16 juillet à 13h et 20h
La FabricA du Festival d’Avignon
11 rue Paul Achard
84000 Avignon
Réservations : 04 90 14 14 14
https://festival-avignon.com/fr/billetterie
Tournée :
20 au 22 août 2025 : Festival Kampnagel, à Hambourg (Allemagne)
3 au 9 octobre 2025 : MC 93 à Bobigny, dans le cadre du Festival d’Automne (France)
7 au 12 novembre 2025 : Théâtre National Populaire de Villeurbanne (France)
20 au 29 novembre 2025 : Temporada Alta Festival à Gérone (Espagne)
3 au 5 décembre 2025 : Théâtre National de Bordeaux (France)
10 et 11 décembre 2025 : Scène Nationale de Sceaux dans le cadre du Festival d’Automne (France)
16 au 18 décembre 2025 : Théâtre de Vidy-Lausanne (Suisse)
20 au 22 janvier 2026 : Scène nationale de Besançon (France)
29 et 30 janvier 2026 : Théâtre de la ville de Luxembourg
12 et 13 février 2026 : Maillon, théâtre de Strasbourg (France)
11 au 13 mars 2026 : Malraux, Scène nationale de Chambéry (France)
20 et 21 mars 2026 : La Filature, Scène Nationale de Mulhouse (France)
4 et 5 avril 2026 : Teatros del Canal Madrid (Espagne)
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