© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Mai 1991 : le cosmonaute soviétique Sergheï Krikalev s’envole pour la station orbitale MIR, qu’il va habiter durant dix mois (un séjour plus long que prévu) sous l’œil de quatre caméras. À son retour, l’empire soviétique a disparu, démantelé. Pendant son voyage dans l’espace, pour ainsi dire hors du présent, un monde a disparu, un autre est né. Krikalev est devenu le premier cosmonaute à effectuer une mission pour un pays ayant cessé d’exister ! Ce n’est plus Zeus qui regarde goguenard depuis l’Olympe le sort éphémère des humains mais des hommes qui regardent leurs semblables tomber, s’étriper, s’embrasser, se baigner, se mordre, bref vivre… comme ils peuvent. De la stratosphère, ils constatent impuissants l’implosion de leurs ambitions démiurgiques, leur ratage intégral.
Sur cette trame incroyable (le roumain Andrei Ujica en avait fait un film en 1995) Jeanne Candel et Vlasislav Galard cousent un bijou théâtral, fait de petits détails qui veulent dire beaucoup, un art de la litote à son paroxysme, l’enfance de l’art, territoire béni que nous n’aurions jamais dû quitter pour des rêves de gloire foireux.
Le prologue est un délice, sur une aire de jeu qui ressemble à une cour de récréation d’école primaire. On y a installé un petit chapiteau de Guignol avec soufflerie et poulies et des marionnettistes nous rejouent avec les moyens du bord la création du monde depuis le big bang jusqu’à la conquête de l’espace. Des comédiens de foire, bateleurs estropiés de la vie (ils portent des bandages) tentent de faire bonne figure devant nous et d’assurer le spectacle coûte que coûte, armés de baguettes soleil, lune, comme la baguette de Harry Potter. On est plié de rire dans la salle !
Ensuite on passe au plat principal. Soit deux cosmonautes dont le retour sur terre est compromis par des avaries techniques, l’un, Boris, glisse dans la mélancolie (Vlasislav Galard), l’autre, Kyril, jouit de sa puissance (Jan Peters), l’envers et l’endroit, le rouge et le noir, entre les deux le jeu électrique de comédiens incroyables. On les voit vivre, survivre en apesanteur, donner des interviews (désopilantes et plus vraies que nature !), tourner comme des toupies sur des tabourets autour de leur cellule, se faire la gueule, se rabibocher, tomber amoureux (Vladislav Galard), bricoler (Jan Peters). Une femme est restée sur terre (Sarah Le Picard, excellente elle aussi) : elle communique avec eux régulièrement via une vidéo-conférence dont on mime les problèmes de communication.
Kyril, le positif, déploie une activité héroïque, volontaire, éclatant de santé, et nous donne à voir la station spatiale avec ses nombreux sas et ses mille machines. Boris, l’être mélancolique, avance comme un poulpe, se propulse péniblement, un peu à la ramasse, dépassé, comme s’il évoluait sur un chemin pierreux avec un vieux tracteur cabossé. L’histoire, à y regarder de près, n’est pas drôle sur le fond. C’est toute la grâce de ce spectacle que de nous offrir un regard plein d’humour tendre sur les personnages, leurs questions sans réponse, leurs égarements et leur complicité. C’est un petit laboratoire avec des inventions permanentes. Onomatopées, crissements, atterrissage, rebond, tout est produit par le corps des acteurs, leurs muscles, leurs souffles, leurs os. Un jeu organique, millimétré au petit poil, quelle créativité ! Même la célèbre chienne Laika apparaît derrière un hublot, flottant dans l’espace intersidérale. Pauvre clébard, qui n’avait rien demandé à personne, qui menait tranquillement sa vie de chienne errante à Moscou (dixit Boris) et qu’on a foutu dans une boîte pour finir en torche vivante. Un vrai moment d’anthologie que l’aventure de Laika racontée par Vlasislav Galard. On ne peut pas tout dire car il faut garder de l’innocence, avant d’aller voir ce spectacle qui porte haut le qualificatif tout public. Tout est porteur d’une poésie délicate, de mélancolie et d’émotions que chacun traverse selon son âge et son humeur.
Alors, installez-vous confortablement, prêts à larguer les amarres ? Cela tombe bien, âme d’enfant recommandée ! Vous ne voudrez plus revenir sur notre bonne vieille planète bleue après. Une merveille qui réunit tous les publics de 6 à… et raconte les déboires de ces entreprises folles d’envoyer des hommes dans l’espace. Un théâtre artisanal, magnifiquement bricolé, fignolé, interprété qui dit tout avec rien, ce qu’il n’aurait jamais dû cesser de faire.
© Christophe Raynaud de Lage
Fusées, de Jeanne Candel
Mise en scène et scénographie : Jeanne Candel
Peintures : Marine Dillard, Blandine Leloup et Marie Maresca
Lumières : Vincent Perhirin
Costumes : Constance Chiassal-Polin
Jeu : Vladislav Galard, Sarah Le Picard, Jan Peters et Claudine Simon
A partir de 6 ans
Les 6, 7, 8 juillet à 11h et 17h
Durée 1h
Théâtre Benoît-XII
12, rue des Teinturiers
84 000 Avignon
Festival d’Avignon IN
Réservation : 04 90 14 14 14
https://festival-avignon.com/fr/billetterie
Tournée :
4 et 5 novembre 2025 : Le manège, Maubeuge
13 et 14 novembre 2025 : Comédie de Valence
17 au 21 décembre 2025 : Les Célestins, Lyon
8 et 9 janvier 2026 : Théatre de Vanves
13 au 16 janvier 2026 : Comédie de Colmar
19 et 20 janvier 2026, Comédie de Clermont-Ferrand
22 au 24 janvier 2026 : Théâtre national de Nice
28 janvier au 15 février 2026 : Théâtre de l’Aquarium, Paris
8 et 9 mars 2026 l’Arc : Scène nationale du Creusot
13 et 14 mars 2026 : Le Grand, La Roche-sur-Yon
17 au 19 mars 2026 : Théâtre de Lorient
25 mars au 28 mars 2026 : Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis
9 avril 2026 : Théâtre des 2 Rives, Charenton-le-Pont
14 et 15 avril 2026 : Mac de Créteil
17 et 18 avril 2026 : Théâtre Jean-François Voguet, Fontenay-sous-Bois
21 au 30 avril 2026 : Théâtre National de Bordeaux Aquitaine
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