© Pascal Gely
ƒƒƒ article de Hoël Le Corre
Il faut le dire tout de suite : on est frappés dès l’entrée par l’imposant décor monochrome d’un bleu énigmatique autant que profond. L’esthétique est immédiatement saisissante et elle nous projette sans plus attendre dans un univers fantasmagorique, à la lisière entre notre monde actuel et un futur étrange, quoique tout à fait plausible. C’est la force des métaphores, la force du théâtre, celle de la compagnie F.O.U.I.C, qui nous livre avec Happy Apocalypse une fable musicale à tendance dystopique, à la croisée entre notre univers familier d’humains trop humains et une hybridation faite de folies douces, d’interrogations sur l’être, sur l’âme et sur les singularités qui sommeillent et parfois se révèlent en chacun de nous. Une fresque qui, à la manière des contes universels parle évidemment de nous, de notre société et laisse entrevoir des pistes pour un futur plus désirable…
Dans un avenir pas si lointain, nous suivons Perle, premier enfant hybride de l’Humanité, née des gamètes de sa mère et de celles d’un… Varan de Komodo. Autour d’elle gravite sa famille, sous les traits d’une tante qui rêve de pouvoir affirmer sa « faiblesse », d’une mère aux prises avec les regrets et sa difficulté à exprimer l’amour qui déborde pourtant de chacun de ses pores, et de son oncle scientifique paraplégique, sorte de Stephen Hawking. Dans une époque où les manipulations génétiques sont courantes, donnant lieu à des mélanges (d)étonnants entre l’humain et l’animal, dans un temps où l’expansion de l’Univers semble avoir atteint sa limite, l’Histoire semble amorcer un sens contraire, un repli progressif vers un retour à une Humanité beaucoup plus soucieuse des autres, de son environnement et plus à l’écoute à la fois de son côté immanent et de sa sensibilité.
Les parcours de chacun des personnages se tissent dans une mise en scène ciselée et audacieuse. Tout comme la scénographie mouvante se déplie, se déploie, tiroir après tiroir, l’âme des personnages s’ouvre à nous, se referme, montre des failles, des espoirs, et parfois se révèle tout à fait, dans des tirades épiques qui demandent le plein engagement corporel et émotionnel des comédien.ne.s. Dans cette prouesse d’interprétation, ils sont soutenus par une musique électro-pop jouée en live au plateau par trois musiciens aussi discrets que charismatiques. C’est assez impressionnant comme, même si chaque élément semble tracé clairement, dessiné avec force, millimétré, le tout donne un sentiment de subtilité, de fluidité.
Toujours aux prises avec les réflexions, les avancées technologiques de notre époque, et avec un œil éternellement visionnaire, Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève dessinent dans Happy Apocalypse une ode à la tolérance, à l’altérité et à l’amour. Une reconnaissance de l’individualité en opposition à l’individualisme qui fragmente, fragilise les relations. Autant de valeurs qui constituent fondamentalement la possibilité de créer une société apaisée qui intègre les parcours de vie singuliers dans le collectif ; la possibilité d’un vivre-ensemble en permettant à tout le monde de vivre mieux en étant soi-même. Tout ceci est magnifiquement illustré à travers ces histoires. Nul ne pourra, par exemple, rester indifférent à cette scène émouvante de retrouvailles entre la mère et sa fille « hybride » et qui mène à cette réflexion sur ce qui nous constitue et vient chambouler nos esprits : si, selon la sagesse, un être est avant tout ce qu’il est à l’intérieur, si on porte plus d’importance à son âme qu’à son apparence, ce qui semble en effet souhaitable, alors peut-on aller jusqu’à dire que l’enveloppe charnelle ne compte pas ? N’est-on pas aussi un minimum cette enveloppe, ce qui nous relie en premier à l’autre ?
Bref, on vous l’aura assez fait comprendre, cette dystopie est une véritable catharsis. Le langage hyper concret, voire assez cru, se mêle à des envolées beaucoup plus épiques, frôlant des allures de psaumes. C’est envoûtant. L’équilibre maîtrisé entre l’écriture concrète et les accents lyriques fait de Happy Apocalypse un objet éminemment poétique. A la sortie de ce spectacle dense, l’envie se fait sentir de le revoir pour en goûter encore plus les nuances, les subtilités et la beauté du texte. Car même s’il est un peu difficile de tout comprendre au premier abord, on sait que l’étonnement et les émotions ressentis sont sincères et peuvent être creusés plus loin. A découvrir et redécouvrir, donc.
© Pascal Gely
Happy Apocalypse, de Jean-Christophe Dollé
Par la compagnie F.O.U.I.C
Mise en scène : Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Assistés de : Madeleine Fourtune
Avec : Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève, Sol Espeche, Yann De Monterno, Géraldine Roguez, Noé Dollé, Rodrigo Viana, Pierre Martin, Simon Demeslay et la voix de Solenn Denis
Scénographie et costumes : Marie Hervé
Création lumières, création machinerie plateau, régie générale : Simon Demeslay
Mise en son : Georges Hubert
Musiques : Jean-Christophe Dollé, Noé Dollé, Laurent Guillet et Georges Hubert
Chorégraphie : Aurélie Mouilhade
Couture : Julia Brochier
Perruques : Julie Poulain
Masques : Olga Reis
Coach vocal : Amélia Donnier
Assistanat régie générale : Lili Dollé
Du 4 au 11 juin 2025
Durée : 1h40
Théâtre des Gémeaux Parisiens
15 rue du Retrait
75020 Paris
Accueil : 01 87 44 61 11
contactgemeauxparisiens@gmail.com
Festival Avignon OFF
Du 5 au 26 juillet 2025
Théâtre 11 • Avignon à 22h35
11 boulevard Raspail (près du cloître St Louis)
84000 Avignon
04 84 51 20 10
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