© Emilien Bonnet
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Au sol des balles oranges s’amoncellent soumises au souffle d’un ventilateur et forment des constellations aléatoires comme une limaille de fer s’agglutinant sous les forces d’un invisible champ magnétique. Au fond de la scène, huit figures hautes en couleurs, orangées, vêtements déstructurés, semblent surgir de l’univers nocturne de Rammellzee, l’artiste new-yorkais, pionner du hip hop et du street art, plasticien, auquel le Palais de Tokyo vient justement de consacrer une exposition, huit moines-soldats pourrait-on dire, pour le moins alignés et avec une certaine tenue. Plus étrange encore, par une troublante illusion d’optique, ils paraissent avoir été ébréchés du sommet de leur crâne, et le reste du visage est mangé en partie par un fin grillage, produisant l’effet d’une tête ellipsoïdale plutôt que ronde, sans visage. Ajoutez à cela une création musicale particulièrement efficiente de Christophe Chassol, répétitive, énergique, puissamment vibrante, et vous obtenez un premier tableau véritablement sidérant qui vous saisit le corps et l’âme. La ligne s’ébranlera progressivement, élément par élément, s’animera par avancées et reculs successifs dans une marche déhanchée, bras croisés dans le dos, telles des vagues venant s’échouer sur le rivage. Dans cette chorégraphie qui lorgne vers le mécanisme et l’automate, sans pourtant effacer toute trace d’humanité alors qu’un sourire éclaire finalement le bas des visages avec le naturel d’un grid, on retrouverait presque le dynamisme festif et forcené de ces petits lapins qui battirent sans fin à la gloire d’une certaine marque de piles…
Ana Pi, chorégraphe Brésilienne installée en France, investit la notion de joie en s’entourant de huit jeunes interprètes de danses urbaines du Grand Paris. ATOMIC JOY confrontera le groupe, le collectif, à l’individu. On comprend à travers ce titre que c’est de la bombe cette joie, à moins qu’il ne faille plutôt y voir le signe qu’elle relève de l’atomique, au sens lucrécien du terme. Contrairement à Renato Cruz qui ouvrait les Rencontres chorégraphiques avec Novo Fluxo (critiqué également dans ces colonnes) et interrogeait aussi la question de l’individu et du groupe, Ana Pi quitte le strict champ du social et mord sur l’énergétique, pour ne pas dire l’ésotérique. La joie vive, réelle, certaine, est évidemment au premier chef celle de ses jeunes interprètes, elle est éclatante. La pièce avance en se complexifiant et en multipliant les plans, essaimant les groupes, variant leurs rythmes. On pourrait regretter que la scène du CND, collée aux gradins, n’offre probablement pas le meilleur recul pour accueillir cette proposition foisonnante. Ana Pi use des « talents » de ses recrues, et détourne l’énergie des battles pour la faire tenir dans sa ligne chorégraphique et dramaturgique. C’est dans cette tension, sensible, que cet ATOMIC JOY trouve sa ligne de vie.
ATOMIC JOY, direction, conception, chorégraphie, dramaturgie, costumes et objets : Ana Pi
Interprètes : Naïs Haidar, Anna Yvray, Manèkè Som, Amin Hasnaoui, Ibrahima ′Ibrah′ Biteye, Solen Athanassopoulos, Hachim Biiskui, Celia « Babyface » Bonus
Composition musicale : Christophe Chassol
Création lumière et direction technique : Bia Kaysel
Consultante en historiographie et critique de la danse : Marie Pons
Durée : 50 minutes
Le 4 juin à 19h30 et le 5 juin 2025 à 20h30
Centre national de la danse
1 rue Victor-Hugo
93500 Pantin
Tél : + 33 (0)1 41 83 98 98
www.cnd.fr
Dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
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