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Palombella Rossa, d’après Nanni Moretti et Anne-James Chaton, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer, Théâtre Silvia Monfort à Paris

Juin 06, 2025 | Commentaires fermés sur Palombella Rossa, d’après Nanni Moretti et Anne-James Chaton, adaptation et mise en scène de Mathieu Bauer, Théâtre Silvia Monfort à Paris

 

© Simon Gosselin

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

On a tous quelque chose de Nanni Moretti, l’intranquille à l’humour vache. Proche du Parti communiste italien et fou de waterpolo, l’atrabilaire labile n’épargne pas son parti dans Palombella Rossa sorti en 1989. Un match de water-polo dans une piscine donne au film ses unités de temps, de lieu et d’espace. Le bassin jonché de panneaux publicitaires, est un théâtre au milieu duquel Michel Apicella, double du cinéaste, à la fois acteur et parasite, règle ses comptes avec la société italienne made in Berlusconi.

L’adaptation de Mathieu Bauer suit le synopsis du film. Michel Apicella (Nicolas Bouchaud) député communiste en pleine crise morale, percute un véhicule à l’arrêt. Lorsque ses amis de l’équipe de water-polo le retrouvent, frappé d’une amnésie totale, il a tout oublié mais les accompagne toutefois et les regarde disputer un match. Tantôt dans la piscine, tantôt sur les bords du bassin, Michel retrouve peu à peu des bribes de mémoire. Les souvenirs se bousculent dans sa tête. Petit garçon, son refus de jouer à ce sport d’équipe, le tendre souvenir de la chaleur maternelle de l’enfance, son adolescence militante, l’apprentissage d’un certain type de discours, sa participation récente à un débat sur l’avenir du PCI tandis que défilent les pieds nickelés de la politique et du sport, l’impayable Gulliver Hecq dans le rôle du coach qui rappelle le non moins impayable Silvio Orlando du film, l’italien moyen hilarant, Mathias Girbig, transformiste génial, en catholique intégriste, syndicaliste, néo fasciste  et chroniqueur télé. Le tout est musiqué à la sauce Bauer-Cartigny, biberonnés à l’ambiance Cinnecita (on n’oubliera jamais leur magnifique l’œil et l’oreille cabaret musical sur la relation entre Fellini et Nino Rotta). Clémence Jeanguillaume et Jeanne Lepers font résonner les chansons populaires de l’époque (ça donne envie de danser) au milieu du microcosme agité qui court dans tous les sens, pour aller où ? Mystère, le match prend l’eau comme le PC italien et comme Michel Apicella.

Mathieu Bauer orchestre une scénographie graphique, extrêmement belle et parfaitement structurée, avec différents espaces, piscine, coulisses, vestiaires, buvette, gradins, studio de télévision. Le metteur en scène projette par vidéo le fond de la piscine, les sauts des acteurs font figure de plongeons dans le grand bleu, on nage littéralement sur l’écran avec eux.

Les souvenirs percutent les phases de jeu, sur fond de chute du mur de Berlin, l’électrochoc de l’amnésie agit en boomerang pour faire exploser les choix du député communiste qui a de plus en plus de mal à justifier son engagement face aux médias. Jubilatoire, l’épisode sur la manie du Positionnement (avec un grand P) chez les militants et les commentateurs politiques avides de petites phrases, quand l’homme est en proie à un doute existentiel. Le coach aboie sa logorrhée faite de slogans creux et virilistes, la même à chaque match, personne ne l’écoute, même répétition burlesque dans la novlangue des journalistes qui fait éructer Michele : « Il faut trouver les mots justes. Qui parle mal, pense mal et vit mal ».

On a beau chercher on ne voit pas qui d’autre que Nicolas Bouchaud pourrait chausser les mules de Nanni Moretti. Son interprétation indépassable d’Alceste, en guerre contre ses congénères, dans la mise en scène mémorable de Jean-Francois Sivadier fit date à l’Odéon en 2013. Dans Palombella Rossa il flotte littéralement entre les deux eaux d’une psychanalyse aquatique. Il prend le public a témoin, surfe sur les ruptures de ton, l’emphase d’une pensée qui se cherche, marche pas à pas avec les phrases, les blancs, les absences. En lieu et place des gros plans sur la bobine de Moretti effaré, on a le corps d’un comédien suspendu dans le vide, dedans et dehors, en apesanteur.  Nicolas Bouchaud mouille le maillot en Michel, émouvant et comique. On perçoit sa mélancolie, les fulgurances de l’enfance perdue et on se sent proche de lui, l’art est notre refuge, un des rares moyens de lutter contre le désenchantement. « Nous sommes différents mais nous sommes pareils » répète Michel.

En fond d’écran au-dessus du bar, des séquences du Docteur Jivago sont projetées. Les comédiens crient de dos pour que Julie Christie se retourne et reconnaisse Omar Sharif. Michel voudrait modifier la fiction et empêcher la tragédie. Cette séquence bouleversante qui témoigne d’une foi indestructible dans le septième art, nous renvoie à l’enfance de l’art, quand les Frères Lumières projetaient « L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat », face à des spectateurs terrorisés, croyant que le train allait sortir de l’écran.

Ludique et politique le Palombella Rossa de Mathieu Bauer est un exercice d’admiration parfaitement réussi, d’une esthétique rare. Le spectacle ne craint pas les hors-jeu et le mélange des genres pour transposer à la scène, l’incroyable créativité de Moretti, sa recherche de vérité, son humour, sa poésie ; pas de nostalgie, juste la classe naturelle du talent pour un cinéma et un théâtre vivant. La télévision, n’a pas (encore) tué le cinéma, Nanni, et sur scène, il retrouve une nouvelle jeunesse. Après tout « flotter, disait Serge Daney, c’est encore du travail ». Bravo ! Complimenti !

 

© Simon Gosselin

 

Palombella Rossa d’après le film de Nanni Moretti et des textes d’Anne-James Chaton

Adaptation et mise en scène : Mathieu Bauer

Assistante mise en scène : Anne Soisson

Composition musicale et collaboration artistique : Sylvain Cartigny

Avec : Mathieu Bauer, Nicolas Bouchaud, Sylvain Cartigny, Matthias Girbig, Gulliver Hecq, Clémence Jeanguillaume, Jeanne Lepers

Scénographie et costumes : Chantal de la Coste

Création sonore : Alexis Pawlak

Création vidéo et régie générale : Florent Fouquet

Création et régie lumière : Stan-Bruno Valette

Images : Matthias Girbig

Régie son : Jean-Baptiste Nirascou

À partir de 12 ans

Durée : 1h40

 

Jusqu’au 14 juin 2025

Du mardi au vendredi à 20h30, samedi à 19h30

 

Théâtre Silvia Monfort

106 rue Brancion

75015 Paris

 

Réservations : 01 56 08 33 88

www.theatresilviamonfort.eu

 

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