© Marie Charbonnier
ƒƒ article de Denis Sanglard
Où l’on retrouve Mickaël Délis clôturant son triptyque, La trilogie du troisième type. Après Le premier sexe, ou la grosse arnaque de la virilité, puis La Fête du slip ou le pipo de la puissance – chroniqués en ces lieux – voici les paillettes de leur vie, ou la paix déménage. Après le genre, puis le sexe biologique, notre auteur et comédien se penche sur la paternité. Suite à un don de sperme pour pallier la pénurie séminale et devant la proposition de rédiger une lettre au(x) futur(s) nouveaux né(s) qui ne verra/ront sans doute jamais le jour et que lui-même ne rencontrera peut-être pas, être père n’étant pas ici son but, tout ça pour expliquer sa motivation à donner ainsi de lui-même, Mickaël Délis devant le gouffre de la page blanche qui interroge le pourquoi de la chose, questionne outre la paternité, tout ce qui va de pair avec la transmission et la figure paternelle.
A commencer par sa propre généalogie. Vertige du mal de père, le sien, aux abonnés absents mais présence en creux qui interpelle. Image fracturée par une mère toujours aussi envahissante et ambivalente, dans le don de soi jusqu’au martyre, tout relatif, quand aux sentiments envers le géniteur de ses enfants dont elle donne une image franchement peu amène et dont une psychanalyse ne viendrait pas à bout. Tuer le père, plus facile à dire qu’à faire quoiqu’on en dise surtout quand celui-ci vous mâche allégrement le travail et ce, dès la naissance. D’ailleurs la mort foudroyante de ce dernier, ultime pied de nez, annihile tout espoir de réparation malgré les efforts d’un frère jumeau pour donner une image sans doute plus juste que la réalité mémorielle recomposée par Mickaël Délis, héritier bien plus qu’il ne le pense de ce père encombrant par son absence même. La filiation par le manque n’est pas ici le moindre des paradoxes.
Quant aux potes interrogés, ces nouveaux pères, là où l’enfant paraît c’est la débandade. L’injonction à la déconstruction les laisse démunis, désarmés devant leurs mioches, entre comment faire avec, peut mieux faire sûrement, rater encore et rater mieux, à trouver sa place dans un foyer fragilisé par ces monstres en puissance et la toute-puissance maternelle rugissante devenue quelque peu dévastatrice pour votre ego désormais branlant. Devant ces exemples apocalyptiques, donner le bain à son filleul dans cette panique générale obérant le patriarcat moribond, ouvre des abîmes de réflexions quand à son propre désir de reproduction et de filiation.
Reproduction aussi dûment expliquée, avec pédagogie mais hilarante, car l’origine du monde est aussi dans les couilles, ces gonades qui donnèrent et justifièrent le patriarcat pour des siècles et des siècles, et qu’un rappel bienvenu, schéma à l’appui, annule toute théorie de parthogénèse. Un enfant sans père n’est pas sans reproducteur. Sans doute est-ce là le nœud du problème et possiblement sa résolution.
Ainsi avance cet opus, comme les précédents, où Mickaël Délis enquête auprès des siens, figures devenues familières ; sa mère en tout premier lieu, personnage central dont il est rendu un hommage bouleversant, son père, son frère jumeau, ses ex, dont un ancien amant acteur porno devenu pâtissier, ses ami(e)s, son psy, le médecin du CECOS (centre de conservation des œufs et du sperme humain). Autant de pièces d’un puzzle où se dessine une image diffractée de la paternité d’aujourd’hui où chacun au final fait comme il peut, débarrassé des clichés afférents, mais d’une profonde humanité dans ses fragilités. Et c’est toujours aussi formidablement écrit, chaque portrait est croqué avec justesse, finesse, beaucoup d‘humour et de sensibilité joyeuse. Il y a chez Mickaël Délis du Claire Bretécher dans cette façon unique de capter l’air du temps, de l’écrire avec concision et netteté, dans son regard caustique sur une époque – et sur lui-même au premier chef – où les paramètres sociaux n’ayant de cesse d’évoluer jusqu’à la contradiction fragilisent les certitudes et les êtres. Toujours aussi vibrionnant sur ce plateau, n’ayant pour tout accessoire qu’un tas de petit papiers de soie, tout à la fois paillettes de vie, cendres du père, médicaments de la mère, mousse de bain du filleul, ou encore Tiramisu, c’est selon et c’est merveille, et l’inévitable écharpe blanche pour étole maternelle, Mickaël Délis clôt magistralement cette trilogie, ce portrait intime devenu portée universelle, par une délicate pirouette qui n’est autre que le sens de la vie : la mort d’une mère et la lettre à une potentielle progéniture future, enfin rédigée.
© Marie Charbonnnier
Les paillettes de leur vie, écrit, interprété et co-mis en scène par Mickaël Délis
Co-metteur en scène : Clément Le Disquay
Collaboration artistique : David Délis, Romain Compingt, Anne-Charlotte Mesnier
Jusqu’au 14 juin 2025
A 21h les vendredis, à 20h les samedis, 18h les dimanches
Dimanche 8 juin à 20h
Durée 1h15
Théâtre de la Reine Blanche
2bis, impasse Ruelle
75018 Paris
Réservations : www.reineblanche.com
Deux intégrales de la trilogie du Troisième type auront lieu les 7 et 8 juin 2025 au Théâtre de la Reine Blanche, de 17h à 21h
Les trois volets se donneront au Festival d’Avignon, au Théâtre Avignon Reine Blanche
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