© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier
Il est certes difficile de passer après Joël Pommerat pour s’attaquer à un grand nombre de contes au théâtre, et particulièrement à celui de Pinocchio tant son adaptation moderne et poétique fut éblouissante ; mais aussi depuis qu’Alice Laloy a présenté son Pinocchio (live)#2, qui fut à la fois une performance stupéfiante et un vrai choc esthétique.
Incontestablement, la proposition de Sophie Bricaire intitulée Pinocchio créature est plus sage en apparence, mais c’est dans les détails qu’elle relève le défi avec bravoure, intelligence et sensibilité, ainsi que chacun de ses comédiens au plateau. Alain Lenglet est un Gepetto d’évidence, et Françoise Gillard un aussi fragile et généreux Arlequin qu’une fée douce mais déterminée. Élissa Alloula et Thierry Godard enchaînent et alternent de nombreux rôles (et costumes !) avec gourmandise et amusement, y compris dans leurs déplacements au plus près du public. Enfin, Claïna Clavaron s’empare avec énergie et facétie du personnage de Pinocchio permettant à Sophie Bricaire, de pousser au plus loin le discours sur l’altérité.
La metteuse en scène continue ainsi à dépoussiérer l’histoire, l’actualiser, en particulier via le langage, et à gommer ou adapter certains aspects de sa morale en détournant, ou plus exactement, décentrant le regard. Elle part en effet de Gepetto plutôt que de Pinocchio. Afin de mieux répondre au « que signifie grandir » et comment gagner en indépendance et en autonomie, l’adaptatrice utilise un autre angle de vue, celui des (ou ici du) parents. Elle interroge leur rôle déterminant, dans la création des espaces qui permettent l’émancipation. Gepetto n’est ici pas vraiment une victime de la tyrannie de sa création, comme les interprétations littérales le proposent immanquablement. Gepetto contribue pleinement à faire de sa marionnette son propre tyran, mais après lui avoir démontré qu’elle était son jouet, puisqu’il fait même plus que la manipuler en se donnant le pouvoir de l’activer ou de la désactiver à son gré. Par un tour de clef à ressort (et non en utilisant des fils qui sont pourtant présents en version XXL, mais déconnectés du pantin), comme on appuie sur un bouton on/off, il la met hors service quand elle devient trop capricieuse, avant qu’elle ne lui échappe. Combien de parents n’ont-ils pas rêvé de cette possibilité ? Fantasme qui n’est que le reflet de la fatigue et des névroses parentales, qu’elles soient consécutives à des obstacles biologiques ou psychologiques, mais aussi et surtout aux difficultés intrinsèques à la parentalité, exacerbées par chaque histoire familiale, et propres frustrations d’enfant(s). « On est tous le fruit d’une histoire » nous dit dans son prologue Sophie Bricaire, pour conclure une heure plus tard que « si les enfants se trompent, c’est parce que vous (les parents) les trompez ». CQFD, ça aurait pu être Dolto. Mais elle chante aussi un hymne à l’erreur, au droit de se tromper, un encouragement à « rater mieux » comme l’écrivait Beckett… Et la boucle est bouclée, car l’idée de Sophie Bricaire avec Pinocchio créature semble être aussi de rendre hommage au théâtre…
© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française
Pinocchio créature, d’après Collodi
Adaptation et mise en scène : Sophie Bricaire
Scénographie : Philippine Ordinaire
Costumes : Alex Costantino
Lumières : Jeanne Guillot
Son : madame miniature
Assistanat à la scénographie : Nina Coula
Et de l’académie de la Comédie-Française :
Assistanat à la mise en scène : Aristeo Tordesillas
Assistanat à la scénographie : Anaïs Levieil
Assistanat aux costumes : Aurélia Bonaque Ferrat
Assistanat au son : Samuel Robineau
Avec : Alain Lenglet, Françoise Gillard, Élissa Alloula, Claïna Clavaron, Thierry Godard
Durée : 1h15
Jusqu’au 29 juin 2025 à 18h30
Studio-Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre
Place de la Pyramide inversée
99 rue de Rivoli, 75001 Paris
www.comedie-francaise.fr
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