ƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
Le bonheur conjugal, de Léon Tolstoï, et dont est tiré ce spectacle de Françoise Petit, est paru en feuilletons à partir d’avril 1859 dans Le messager russe. On y rencontre Macha, une toute jeune fille de 17 ans, issue de la petite noblesse russe, qui tombe amoureuse d’un autre aristocrate, Serge Mikhaïlitch, qui presque malheureusement tombe lui-aussi amoureux d’elle. Oui, le premier immense problème est leur différence d’âge, 20 ans, rendez-vous compte… Ceci est vite réglé, les âges restent les mêmes mais la vie à Saint-Pétersbourg l’emporte et un joyeux mariage a lieu, après des mois d’hésitation et de lettres d’amours emportées. Macha devient une des petites stars des salons pétersbourgeois, tout le monde parle d’elle, en bien évidemment, elle est la plus jolie, la plus ceci, cela… Bref la vie est belle. Mais le deuxième problème montre le bout de son nez : la jeune femme s’amuse de salon en salon, sagement certes, mais danse, rit, est heureuse, tandis que son mari ne songe qu’à une chose, retourner à la campagne ! La tension, comme elle sait parfaitement le faire, monte, grimpe puis explose. Le bel amour triomphant n’est plus, remplacé toutefois par une amitié solide qui vaincra les ans.
Cette histoire ressemble fort à celle de Tolstoï et Sophie Andréïevna Behrs, de 16 ans sa cadette, débutée en 1862. Il écrivit d’ailleurs à sa tante le 7 septembre de la même année : « Moi, vieil imbécile, édenté, je suis tombé amoureux ! ». Tolstoï aimait la campagne, sa femme la ville, et ils eurent 13 enfants ce qui nous laissent penser qu’ils vécurent eux-aussi assez longtemps ensemble…
Macha est seule face à nous et raconte ce qui s’est passé, comme si elle lisait ou écrivait son journal. C’est une vieille histoire qu’elle raconte, qui paraît la transporter tout autant. Ses frémissements amoureux, hésitations, surprises… Puis ce mariage inespéré, une joie qui s’use assez rapidement et devient, avec un retour à la campagne et à ses joies moins mouvementées, un simple jour après jour, sans guerre véritable, sans cet amour tumultueux imaginé. Un piano l’accompagne régulièrement, Beethoven est de la partie. Et parfois apparaît, discrètement mais avec une force certaine, Serge, son souvenir, vieil homme comme il faut, sympathique et souriant, lointain. Anne Richard nous emporte à travers cette histoire, à travers cette définition d’un certain bonheur conjugal, affreusement réel et simple en l’occurrence. Les notes du journal et de Beethoven sont là, racontées pour les unes, jouées par Nicolas Chevereau pour les autres. Simplicité et force sont présentes. Ici où là, l’envie d’ouvrir la porte de ce salon de musique et d’aller se promener dans le parc, si nous ne sommes pas emprisonnés par la neige, apparaît. On comprend son envie de Saint-Pétersbourg, d’aller au théâtre là-bas, pourquoi pas. Une certaine lassitude nous assiège aussi au bout d’un temps. Macha développe cependant devant nous tous ses espoirs, inventions, désirs inventés, ceux de Serge, Sergueï, cela résonnerai presque mieux ainsi, une jeune fille et un homme au seuil du repos. La musique nous fascine, offerte, si proche, pause dans cette histoire basculant dans un sombre sans alarme. Macha déçue, Serge qui avait tout fait pour ne pas l’être un jour, lui aussi. Le bonheur conjugal, tous les deux s’y sont pris les pieds, Serge et Macha. Une fois la campagne, une fois Saint-Pétersbourg, un rythme répété pour une histoire imaginée. Anne Richard, accompagnée de Nicolas Chevereau et ici ou là de Jean-François Balmer, nous en offre une image toute simple, nous montre le temps qui passe, les idées qui se heurtent et s’affrontent. Avec une douceur qui éloigne toute idée de conflit véritable. C’est toujours ça. Et rassurons-nous, Le bonheur conjugal connaît parfois des illustrations bien plus vives et sympathiques…
Le bonheur conjugal, de Léon Tolstoï
Adaptation et mise en scène : Françoise Petit
Avec Anne Richard, accompagnée par Nicolas Chevereau au piano
Avec la participation amicale de Jean-François Balmer
Lumières : Hervé Gary
Peinture : Gaël Davrinche
Musique : Sonate Quasi una fantasia de Beethoven, Opus 27 n°1 et Opus 27 n°2
Durée du spectacle : 1h30
Théâtre de Poche-Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Réservations : 01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
comment closed