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Vollmond, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch, Tanztheater Wuppertal + Terrain Boris Charmatz, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt

Mai 14, 2025 | Commentaires fermés sur Vollmond, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch, Tanztheater Wuppertal + Terrain Boris Charmatz, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt

© GMeunier

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

De chair et d’eau. Vollmond, pièce iconique de Pina Bausch, mais ne le sont-elles pas toutes ?, revient à Paris 19 ans après sa création. Avec de nouveaux interprètes à l’exception de Julie Anne Stanzak, Ditta Miranda Jasjfi, Azusa Seyama. Pièce que d’aucun qualifieront de romantique – mais qu’est-ce que le romantisme ? – après quelques années où la guerre des sexes faisait rage, où les relations entre hommes et femmes n’étaient jamais apaisées, toujours intranquilles. Vollmond semble conclure une trêve, les conflits et violence mises en parenthèse. Allons donc ! Il suffit d’une danseuse (à l’origine Helena Pikon) pressant un citron à même la peau, déclarant être amère et hurlant j’attends et je pleure pour dénoncer les faux-semblants et l’illusion de cette paix aussi factice que ce clair de lune qui donne son titre à cette œuvre. Ou encore Ditta Miranda Jasjfi s’efforçant de rire, un rire qui se mue en souffrance pure. Et plus loin ces corps nageant à la suite les uns des autres ne sont-ils pas des futurs noyés comme cette femme inerte que traîne dans l’eau un danseur ? « Je peins malgré moi les choses derrière les choses…un nageur pour moi c’est déjà un noyé. » faisait dire Jacques Prévert à Robert Le Vigan dans Quai des brumes. On peut affirmer qu’ici peut-être Pina Bausch partageait-elle cette même prémonition des choses..

Dans cette spectaculaire scénographie de Peter Pabst, d’ombre, de lumière et d’eau, avec en son centre en promontoire un immense rocher, les danseurs exultent sous la pluie. Et chaque solo, exacerbés jusqu’à la désarticulation du corps, ligne serpentine, bras déliés, est une signature – à l’origine – propre à chaque danseur, chaque danseuse, tout mouvement l’ellipse de sentiments contradictoires, de pulsions secrètes et de désirs inconscients, aussi fugaces que prégnants révélant un état de crise, une épiphanie inquiète. C’est un dévoilement intime et secret où chacun exprime ce qui profondément les relient au monde et aux autres.

Alors oui, par cela et c’est la seule réserve que l’on peut exprimer, bien qu’excellentissimes soient les danseurs, cette nouvelle génération, on sent un léger décalage dans cette réappropriation d’une œuvre dont chaque solo fut conçu par et pour des personnalités qui marquèrent profondément chaque création avec investissement personnel et intime où elle  se révélait sans pudeur. Marcher dans les pas, pour exemple, de Nazareth Panadero, jusqu’à reprendre ici son intonation singulière, ne peut en aucun cas faire oublier l’empreinte de celle-ci dans cette œuvre qui au final lui appartient tant son caractère a contribué à l’œuvre comme chaque partition appartient en propre aux interprètes originaux. Ce que l’on peut ressentir, pour qui assistât à cette création en 2007, comme aux autres oeuvres, c’est une impression non d’imposture, le mot serait inapproprié, mais de réappropriation où la danse n’est plus que de la danse là où chez Pina Bausch tout était dépassement, transcendance. Se pose ainsi en creux la question primordiale de la transmission de ce répertoire original, indispensable pourtant, qui pose ainsi problème de par sa conception particulière et qu’on ne peut occulter. Malgré cette réserve découvrir Vollmond aujourd’hui pour qui n’a pas connu jusqu’alors sa puissance phénomènale, prouve combien le travail de Pina Bausch défie le temps. Parce que ce qui est en jeu, hier comme aujourd’hui, le cœur-battant de son univers, reste l’humain. En cela il y a quelque chose d’universel.

Tout commence dans Vollmond en douceur, on se cherche, on se happe, on se fuit. On s’embrasse, baisers volés, baisers cherchés, baisers consentis. On se moque, les femmes particulièrement des hommes qui font ce qu’ils peuvent, comme toujours. Se vengent possiblement. Ce répertoire là, on le connaît que Pina Bausch décline à l’envie, approfondit, sans que jamais la répétition ne lasse tant le sillon creusé inlassablement révèle chaque fois quelque chose de nouveau qui oscille entre le gag, voire le burlesque, la poésie, et la tragédie au final dans sa violence intrinsèque qui se refuse à l’aveux. Malgré la gravité qui sourd et se révéle comme à regret, il y a quelque chose de ludique chez Pina Bausch que l’on savait aussi espiègle et frondeuse.

Mais bientôt sous les trombes d’eaux qui s’abattent soudainement c’est un déchaînement exutoire, une libération explosive et folle. Les vannes s’ouvrent, la pluie est torrentielle, les tensions éclatent enfin. Et les robes sublimes signées Marion Cito vite empesées d’eau, les chevelures féminines alourdies, les costumes des hommes rincés comme serpillère, dévoilent les corps en lutte acharnée contre ses vêtements qui les entravent et la nature qui les piège dans un maelstrom aqueux infernal. On se mouille, on se jette à l’eau, au sens propre comme au figuré. On se baigne entièrement vêtu, on se tape les fesses en farandole dans les flaques, on se balance des seaux d’eau à la figure dans une bataille épique au goût d’enfance retrouvée. Ça fait splach, ploc et plouf ! offrant à la gestuelle de Pina Bausch, dans ce combat furieux contre les éléments, une variation sublimant le mouvement par son empêchement même. C’est aussi, par cette cristallisation, d’une sensualité inattendue voire magnifiquement provocante. On le voit, on le pressent, ça glisse sévère mais de cette contrainte (souvenons-nous des agglos brisés et casse-gueule de Palermo ! Palermo !) la danse renait différemment, fragile et forte à la fois au risque accusé de la chute. Surtout il ressort de tout cet emballement spectaculaire et joyeux, oui joyeux, un formidable et puissant sentiment de vie, exacerbé par la nature et ses cataractes imprévisibles, qui emballe jusqu’au public, littéralement envoûté par ce ballet devenu aquatique réconciliant, pour un moment et dans un même mouvement, femmes et hommes.

 

© GMeunier

Vollmond, mise en scène et chorégraphie de Pina Bausch

Scénographie : Peter Pabst

Costumes : Marion Cito

Collaboration musicale : Matthias Burkert, Andréas Eiseinschneider

Collaboration artistique : Marion Cito, Daphnis Kokkinos, Robert Sturm

Musiques : Amon Tobin, Alexander Balanescu avec le Balanescu Quartet, Cat Power, Carl Craig, Jun Miyake, Letfield, Magyar Posse, Nenad Jelic, René Aubry, Tom Waits

Direction des répétitions : Daphnis Kokkinos, Robert Sturm

 

Avec : Edd Arnold, Dean Biosca, Emily Castelli, Maria Giovannina Delle Donne, Taylor Drury, Samuel Famechon, Ditta Miranda Jasjfi, Reginald Lefebvre, Alexander López Guerra, Nicholas Losada, Blanca Noguerol Ramirez, Azusa Seyama, Julie Anne Stanzak, Christopher Tandy

 

Jusqu’au 23 Mai 2025 à 20h

Le dimanche à 15h

 

Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt

Place du Châtelet

75004 Paris

 

Réservation : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

 

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