Critiques // Et j’en suis là de mes rêveries d’après Alain Guiraudie, adaptation Ferdinand Garceau, Jean- François Lapalus et Maurin Ollès mise en scène Maurin Ollès au théâtre de la Bastille à Paris

Et j’en suis là de mes rêveries d’après Alain Guiraudie, adaptation Ferdinand Garceau, Jean- François Lapalus et Maurin Ollès mise en scène Maurin Ollès au théâtre de la Bastille à Paris

Avr 03, 2025 | Commentaires fermés sur Et j’en suis là de mes rêveries d’après Alain Guiraudie, adaptation Ferdinand Garceau, Jean- François Lapalus et Maurin Ollès mise en scène Maurin Ollès au théâtre de la Bastille à Paris

 

© Erwan Dean

 ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

A bicyclette… ! Jacques n’a pas que les mollets d’acier, il bande dure aussi sous son cuissard, en danseuse sur son vélo, en voiture, à pied. Ce fouinard sans attache musarde ici et là d’une zone géographique à une autre, d’une personne à une autre, d’une histoire à une autre, une sorte de Tintin en Aveyron, un électron en perpétuel mouvement qui n’arrête pas de se poser des questions, le roi de la pédale a un vélo dans la tête « c’est un peu le bordel dans ma tête, mon esprit se met à divaguer, là je pense à plein de choses, y’a un peu tout qui se confond ». Faut dire qu’il abuse un peu de la chopine du cru ! Machinalement, pour rendre service, il encaisse un double meurtre et s’interroge sur sa nouvelle identité, meurtrier, assassin ou criminel ? faudrait savoir !

Pierre Maillet, remarquable dans le rôle de Jacques le narrateur, mouille le maillot, le mot est faible, candide et malicieux, traversé par l’angoisse, en proie à des tourments existentiels et se laissant caresser par le curé sous la table de déjeuner après les funérailles de l’aubergiste. Ce comédien a quelque chose du facteur de Jacques Tati, il joue sur les accents burlesques de l’occitan rocailleux, accélère le débit parfois dans un flux de pensées, ouvert aux événements et aux discours qui le traversent sans distinction, complètement poreux au monde , basculant  dans une rêverie éveillée. « Je me demande si c’est normal de penser à toutes ces choses en même temps et je me demande combien de temps peut tenir un homme en pensant à autant de choses à la fois avant de devenir fou ».

Maurin Ollès prend en charge tous les autres rôles en changeant de peau avec une facilité déconcertante, tour à tour gendarme, curé, militant, agresseur. Il lui suffit d’un rien pour donner de la consistance aux petits êtres de ce Clochemerle foutraque, propice aux retournements de situations. L’amant à la plastique si érotique se mue en fou furieux qui met à la porte Jacques en pleine nuit, errant nu comme un vers sous la voute étoilée. Le vieux grabataire écœurant se révèle facétieux et gracieux, la beauté cachée du laid, du laid disait notre regretté Gainsbourg. Le curé lubrique avoue ses péchés à Jacques, objet de son désir à jamais malheureux, et lui enseignera le chemin d’une sublimation possible, moment bouleversant sous des dehors paillards. Qu’est ce qui nous est le plus opaque, la mort ou le désir ? Dostoïevski n’est pas loin.      

La mise en scène de Maurin Ollès, mise en selle devrait-on dire, est franchement épatante. Il invente une nouvelle forme de récit, un ciné-théâtre- BD qui mélange les trois genres avec fluidité et permet d’élargir le récit aux scènes hors champ. Des figurines d’argile immobiles sont déplacées dans l’auberge miniature de Gogueluz, un bon vieux rétroprojecteur projette les images manquantes dessinées sur des transparents. Soliloque et changement à vue rocambolesques, tout est relié, connecté par un bricolage incroyable d’efficacité.

Le Tourmalet théâtral, plein de baise, de forêt, de loups, drôle et angoissant à la fois, marie politique, métaphysique et fantastique. Génial porno rural, il fleure bon l’enfance, la rubrique à brac de Gotlib, le Grand-Duduche de Cabu. La mort, le désir et l’amour y font des claquettes. Maurin Ollés et Pierre Maillet, dans le sillage d’Alain Guiraudie, ne prennent pas de haut leurs personnages, jamais en surplomb comme chez Chabrol.

Ce spectacle boosté à la Brigoule, l’élixir local, inventif avec trois bouts de ficelle nous enchante, sa liberté par temps d’intégrisme de tous bords fait du bien. Il célèbre l’amour des corps, des autres, de la langue, de ces gens dont on ne parle jamais, des gros, des vieux, des culs terreux, des moches, avec beaucoup d’humilité et un vrai partage vers le public. Un bijou à ne pas rater au théâtre Bastille !

 

© Erwan Dean

 

Et j’en suis là de mes rêveries d’après le roman Rabalaïre d’Alain Guiraudie (Ed P.O.L)
Mise en scène et réalisation : Maurin Ollès
Écriture et adaptation :  Ferdinand Garceau, Pierre Maillet, Maurin Ollès
Dramaturgie et script :  Ferdinand Garceau
Scénographie et costumes : Zouzou Leyens
Lumière :  Bruno Marsol
Son : Manon Amor
Image : Lucas Palen
Assistanat caméra : Micaela Albanese
Montage image :  Mehdi Rondeleux
Prise de son : Arnold Zeilig
Perche : Paul Guilloteau

Avec : Pierre Maillet, Maurin Ollès, et la participation en images de Ferdinand Garceau, Jean-François Lapalus, Pierre Maillet, Julien Villa

 

 Jusqu’au 11 avril, à 19h

Le samedi à 16h, relâche le jeudi 3 et dimanche 6 avril

Durée : 1h45

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75 011 Paris

 

Réservation : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

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