© Géraldine Aresteanu
ƒ article de Paul Vermersch
S’ouvrant comme une fable à mi-chemin entre la dystopie et le polar, Derrières les lignes ennemies, nous invite à suivre un groupuscule de terroristes écologiques dans leur kidnapping d’une figure scientifique éminente. Après avoir développé et mis sur le marché des arbres génétiquement modifiés – qui se révèleront être hautement cancérigènes – Antoine Moront est attrapé par un groupe de quatre jeunes activistes, emmené dans un lieu tenu secret et gardé en captivité. Des négociations s’ouvrent alors, mais, par manque d’organisation et de cran, le groupe terroriste ne parvient pas à faire pression sur l’État Français, et la réclusion s’éternise.
Le projet du spectacle est assez net : alors que les décideurs actuels continuent d’ignorer l’effondrement écologique à un niveau international, il s’agirait de proposer une expérience politique au spectateur, dans laquelle on explore la possibilité du terrorisme écologique comme réponse à un gouvernement sourd, voire même parfois complice. La forme propose donc de plonger dans le quotidien de ce groupuscule, d’entrer dans les dilemmes éthiques et moraux qui traversent les personnages, mais aussi de rendre compte de la réalité du scientifique qui, grâce à une technologie de pointe, a développé ces arbres nocifs. En bref, l’occasion de déposer au plateau des questions immenses, la fin justifie-t-elle les moyens ? que peut le peuple lorsque l’État ne l’écoute pas ? la violence individuelle est-elle une réponse à la violence systémique ? etc.
Le spectacle happe facilement par son début : le dispositif scénique se révèle en faisant apparaître un très bel environnement mi-industriel, mi-usine, baigné dans une lumière froide très plastique particulièrement satisfaisante. On y retrouve Antoine Mouront dans une petite cellule, et on y découvre surtout un groupe pas si terroriste que ça, qui cherche à obtenir l’obtempération du prisonnier sans passer par la violence, qui voudrait même, à force de discussions et de lectures, le familiariser à leur combat. On se raconte tout de suite des modalités de communication non-violente, une tentative de justice restaurative. Le projet paraît alors passionnant, on croit qu’on va assister au déploiement de cette modalité de lutte au plateau, que les situations vont nous mener au cœur de ce conflit particulier et non-violent.
Mais, malheureusement, le spectacle ne s’en tient qu’à effleurer cette question dans l’installation de cette situation de départ. Rapidement, ce à quoi on assiste c’est un peu à un camp de vacances, en réalité très peu politisé. On voit le groupe jouer aux cartes, manger des pizzas, flirter, etc. On a du mal à identifier clairement ce que ces gens revendiquent, non seulement face aux autorités mais surtout comme projet de société plus global, comme vision du monde, comme regard sur la vie. Partout on a des signes que ce kidnapping est très grave et qu’il s’agit d’une situation limite pour le pays (diffusions de fausses émissions radio alarmantes, rejeux de plateaux TV où l’événement apparaît comme une catastrophe nationale, etc.), mais la réalité de ce camp de rétention ne coïncide pas avec le niveau d’urgence auquel on aimerait nous faire croire. Si la proposition était de faire rentrer le spectateur dans la matérialité très concrète de cette lutte – et donc d’assister à des scènes quotidiennes, montrant aussi les dessous et l’organisation du groupe – on perd de vue l’objectif de cette action coup de poing, et, finalement, on finit par ne pas vraiment la créditer.
Le spectacle envoie tous les signes qu’on regarde quelque chose de très sérieux (la radio diffuse les émissions nationales qui semblent toutes alarmées par la situation) mais ce sérieux ne semble pas infuser la vie du groupuscule. Si la proposition était de faire rentrer le spectateur dans la matérialité très concrète de cette lutte – et donc d’assister à des scènes quotidiennes, montrant aussi les dessous et l’organisation du groupe – on perd de vue l’objectif de cette action coup de poing, et, finalement, on finit par ne pas vraiment la créditer.
Par un système d’interviews filmées puis diffusées sur les réseaux sociaux, on accède à l’intériorité de l’homme d’affaire captif. Un dispositif assez attendu qui vient générer une langue particulièrement didactique. On entre ainsi dans les stratégies scientifiques et commerciales mises en place par l’industrie pour mettre en vente sur le marché des produits nocifs. Une petite fenêtre sur notre système capitaliste vicié, intéressante dans ce qu’elle déploie de précision, mais dont le statut n’est pas très clair : Antoine Moront se livre dans l’espoir de se racheter aux yeux du monde extérieur et de donner gain de cause à ses ravisseurs, c’est en tous cas ce qui est amené au plateau, mais pour le spectateur la causalité reste floue. On ne comprend pas très bien ce qui le fait parler, et on ne croît pas non plus très fort à ce système de questions/réponses, comme si des activistes qui parvenaient à échapper à la police pendant des mois n’étaient pas informés sur les dessous de l’industrie contre laquelle ils luttent.
Si Derrière les lignes ennemies raconte en fait davantage la tentative d’une jeunesse désorganisée et impuissante qui essaie d’agir malgré tout, de quand même tenter quelque chose, la forme se contredit. Le grand naturalisme du spectacle qui épouse parfaitement les codes connus du kidnapping, de la rançon, etc., empêche de lire le spectacle sous cet angle-là. De même, toutes les complexités dramaturgiques que la fable explore (restitutions caricaturales de plateaux télés, de radios, etc.) finissent aussi par brouiller ce qui se dit de la pièce : le sérieux maladroit de cette situation de kidnapping s’articule mal à ce regard potache et on est un peu perdu.
© Géraldine Aresteanu
Derrière les lignes ennemies, écrit et mis en scène par Lucas Samain
Lumière et scénographie : Hervé Cherblanc
Assistanat à la scénographie et lumière : Lison Foulou
Son : Hugo Hamman
Vidéo : Valentin Dabbadie
Costumes : Juliette Chambaud
Avec : Caroline Fouilhoux, Alexandra Gentil, Jeremy Lewin, Adrien Rouyard, Étienne Toqué
Du 25 mars au 5 avril 2025
1h40
Théâtre des Célestins
4 rue Charles Dullin
Réservations : 04 72 77 40 00
Adresse du site email : https://www.theatredescelestins.com/fr/programmation/2024-2025/celestine/derriere-les-lignes-ennemies
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