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Close Up, chorégraphie de Noé Soulier, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, à Paris

Mar 17, 2025 | Commentaires fermés sur Close Up, chorégraphie de Noé Soulier, au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, à Paris

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

À jardin, clavecin, violon, violoncelle, viole de gambe et flûte traverso. À cour, une danseuse s’avance. Musique et danse sont sur un même plan, une même horizontale. Les mouvements se succèdent comme une rigoureuse succession de notes, liées entre elles par la vibration et l’intensité propres au corps humain. Sur une autre parallèle, L’art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, interprété sur scène par l’ensemble Il convito dirigé par Maude Gratton, sommet de l’art musical contrapuntique, développe et entrelace ses lignes mélodiques dans une fascinante et savante polyphonie. Cet art du contrepoint s’élargit et s’enrichit encore ici où le discours de la musique et le discours de la danse se chevauchent l’un l’autre dans une voisine indépendance, coïncidant par quelques points de contact fugaces, furtifs embrassements. L’espace et le temps se conjuguent dans une rassérénante étreinte. La partition de Noé Soulier jouera des combinaisons, du solo jusqu’au sextet, mais plus encore qu’une algèbre, Close Up relève de la géométrie du visible et de la trigonométrie des invisibles. L’arc des corps tendus bouscule les grilles établies d’horizontale et verticale de même que la musique de Bach trouble la choralité de ses lignes mélodiques par l’aspiration harmonique ascendante. Comme un leitmotiv : cet équilibre sur un pied, corps à l’horizontale, clef de voute d’une articulation entre ciel et terre. Et puis si la musique semble composée d’une modulation de souffles, inspirations et expirations trouvant leur chemin depuis l’âme des instruments jusqu’à leur caisse de résonnance, la chorégraphie, elle, se fait d’élans, pareils à des coups d’archet, nous aveuglant par leurs fulgurances. Dans le clair-obscur de la lumière de scène, les mouvements sembleraient presque brossés d’un geste vif sur la toile d’un maître Hollandais. La danse alerte de Noé Soulier travaille d’un même mouvement au floutage et à la netteté, ce qui lui confère une sorte d’aura dont on devient vite le captif amoureux. La cinématique se fait organique, les membres se déploient avec la stridence d’un souffle soudainement expulsé. Le geste est jet. Les suspens agrègent la matière fantôme concaténée dans la fulgurance des mouvements. Et si cette danse puissamment concrète travaille dans le même temps à une abstraction des formes, on y décèle encore une écriture des corps, joyeux et vernaculaires, telle cette roulade déboulant magistralement à la suite d’équilibres tout en péril et en muscle, digne celle-là d’une joyeuse scène de Brueghel. Les temps longs enchâssent les instantanés comme si la danse prenait le temps de sa révélation photographique, creusant le lieu implicite de la musique qui, on l’oublie, est d’abord celui d’une mémoire, s’emplissant et se ravivant au fil des notes. Close Up questionne l’éphémère du son comme celui du geste dans la loupe du temps échu.

À cette délicate recherche, Noé Soulier adjoint un dispositif, offrant son titre à la pièce. Particulièrement opérant dans le jeu des perceptions, le plateau dégagera sa profondeur de champ par un lever de rideau tout en redéfinissant une nouvelle double focale avec au lointain d’une part un espace réduit semblable à un studio photo tendu d’une toile blanche et d’autre part un grand écran projetant un « close up » de ce qui s’effectue à ses pieds. Ce « gros plan », ce zoom, tranche le réel par son cadre, l’image découpant principalement le tronc des danseurs, véritable arbre (terme mécanique) dont ressort la forêt des gestes. L’étrangeté du procédé étant que ce gros plan donne la sensation également de ralentir le temps, de l’étirer. Dans ce Close Up, une indicible émotion se noue. Ce studio pourrait être un studiolo exposant les vestiges, les morceaux tronqués, d’un mouvement irrémédiablement perdu. Ici s’exhument les parties invisibilisées du tout : un bras replié, des mains entrelacées, des corps enlacés, éloignés. L’investigation conceptuelle de Noé Soulier rejoint l’expérience intime, bouleverse. Le lyrisme se niche dans le détail, définitivement proustien, ouvrant à une nouvelle expérience du temps et de sa musicalité. De là cette sensation, touchant au sublime, que certainement cette danse et cette musique se composent sur le terre-plein mais au bord du vide qui cerne l’existence.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Close Up, conception et chorégraphie de Noé Soulier

Direction musicale : Maude Gratton

Musique : Jean-Sébastien Bach, L’Art de la fugue, et Andante, extrait de la sonate n°2 pour violon seul

Avec Stéphanie Amurao, Nangaline Gomis, Yumiko Funaya, Samuel Planas, Mélisande Tonolo, Gal Zusmanovich

Et avec l’Ensemble Il Convito dirigé par Maude Gratton

Maude Gratton, clavecin

Sophie Gent ou Christine Busch, violon

Claire Gratton, viole de gambe

Ageet Zweistra, violoncelle

Collaboration artistique : Stéphanie Amurao, Nangaline Gomis, Yumiko Funaya, Samuel Planas, Mélisande Tonolo, Gal Zusmanovich

Scénographie : Noé Soulier, Kelig Le Bars et Pierre Martin Oriol

Lumière : Kelig Le Bars

Vidéo : Noé Soulier et Pierre Martin Oriol

Assistante : Stephanie Amurao

 

Durée : 1h15

Du 11 au 13 mars 2025, à 20h

 

Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt

2, Place du Châtelet

75004 Paris

Réservation au 01 42 74 22 77

https//www.theatredelaville-paris.com

 

 

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