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ff article de Denis Sanglard
Nadia Comaneci, un portrait. Oui mais non. Montréal 1976, au jeux olympique la petite gymnaste roumaine obtient aux barres asymétriques la note exceptionnelle de 10. L’enfant de quatorze ans devient une star mondiale, une légende. Mais qui est Nadia Comaneci qui a tant rêvé d’être Nadia Comaneci ? Que représente-t-elle ? Et pour qui ? Cette biographie imaginaire dénoue les fils d’une trame où l’histoire intime rejoint l’histoire d’un pays, d’une dictature, celle de la Roumanie dirigée par les Ceausescu. Celle d’un corps étranger à lui-même, devenu un enjeu politique, l’icône d’un régime dictatorial. Détectée à 6 ans par Béla Károlyi, soumise à un entraînement et une discipline de fer, championne olympique à 14 ans, puis à 18 ans (1980, jeux de Moscou), fuyant la Roumanie en 1989 quelques temps après la chute du mur de Berlin et avant celle des Ceausescu, fusillés, exilée aux états unis, convertie au libéralisme, Nadia Comaneci dépouillée de sa vérité intime pour une hagiographie au service d’un régime puis d’une légende reste un mystère.
Quelques images projetées, les 14 secondes qui firent de cette enfant un symbole et un enjeu politique, reviennent dans cette mise en scène comme un leitmotiv, images d’une réalité se fracassant devant la vérité, où ce qui en tient lieu, d’un discours qui révèle ce qui derrière cet exploit se cache d’inavouable et de sordide. Le texte choral, parcellaire, interroge chacun qui firent de Nadia ce qu’elle devint, sans vraiment son consentement. Les parents, qui donnent, pas d’autre mot, leur fille à Béla Károlyi, le frère et confident de Nadia, les Ceausescu, Béla Károlyi bien évidemment, enfin Nadia qui oppose, ou tente de, sa vérité. Portrait diffracté et fantasmé d’une dépossession de soi où le corps devient un enjeu central, mis au service d’une idéologie totalitaire, où l’individu n’existe plus en soi. Ce corps formaté et surveillé, confisqué, est une prison. Le texte ne fait pas non plus mystère des zones d’ombre de Nadia Comaneci dont sa relation avec le fils des Ceausescu, Nicu. Comment comprendre alors cette fuite, cet exil américain sinon l’appréhension du libéralisme et de sa découverte comme un état de liberté ou de sa représentation imagée sinon imaginaire. Un fantasme américain que la chanson « Hôtel California », qui revient avec obsession, ne cesse d’alimenter. Ce qui est troublant c’est sans doute ça, de découvrir combien l’histoire de Nadia Comaneci épouse étroitement la marche, les soubresauts et le chaos du monde.
La mise en scène, un peu trop à l’étroit sur ce plateau de La Reine Blanche, encombré des souvenirs de Nadia Comaneci (médailles, poupée, portraits et, bien évidemment, les barres asymétriques…), chorégraphie les mouvements de la mémoire, qui pendulent, balancent d’un protagoniste l’autre. Souvenirs contradictoires à l’aune des intérêts de chacun, reliant ou déliant l’intime et le collectif, la petite et la grande histoire. Au centre Nadia Comaneci -Elizabeth Mazef, parfaite – lucide dans cette quête d’identité désespérée, tragique si on veut, à jamais l’enfant voltigeur de 14 ans, ayant rêvé d’être Nadia Comaneci mais prisonnière d’une image qui ne lui appartient plus, qui ne lui a jamais appartenue. Les cinq sur le plateau, dirigés au cordeau, tournent autour de ses barres asymétriques devenu le cénotaphe et le centre mémoriel de son histoire et de sa réappropriation. Il y a de la gravité et de l’humour aussi parce que ce récit et conséquemment les comédien n’oublient jamais la dimension humaine de ce destin hors-norme, spolié. On parle du corps, des corps devrait-on dire tant chacun se le réapproprie, et pourtant celui-ci est comme absent du plateau. Comme s’il ne pouvait être que celui-là, figé pour une éternité relative, réalisant en 14 seconde ce qu’aucune autre gymnaste n’avait jusqu’alors réalisée. Ici ne voltige avec vélocité que la parole qui s’enroule sans faute autour du souvenir ténu d’un corps sans plus de réalité que son souvenir-même. Ainsi naissent les légende au corps défendant de ceux qui en sont les héros.
Peut-être Nadia, conception et texte d’Anne Sophie Mercier et Pascal Reverte
D’après une idée originale d’Anne-Sophie Mercier
Mise en scène de Pascal Reverte
Collaboration artistique : Alexandre David
Avec : Olivier Broche, Aude Léger, Nicolas Martel, Elizabeth Mazev, Vincent Reverte
Scénographie : Jane Joyet
Création et régie lumière : Léandre Garcia Lamolla
Création musicale et sonore : Antoine Sahler
Régie son : Laurent Le Gall
Création vidéo : Julien Appert
Jusqu’au 30 Mars,
Du mercredi au vendredi à 19h
Le samedi à 18H, le dimanche à 16h
Durée 1h20
Théâtre de la Reine Blanche
2bis passage Ruelle
75018 Paris
Réservation : 01 40 05 06 96
reservation@scenesblanches.com
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