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Julius Caesar, de William Shakespeare, mise en scène d’Arthur Nauzyciel, au théâtre Les Gémeaux, de Sceaux

Mar 10, 2025 | Commentaires fermés sur Julius Caesar, de William Shakespeare, mise en scène d’Arthur Nauzyciel, au théâtre Les Gémeaux, de Sceaux

 

© Philippe Chandel

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Philip Marlowe, le célèbre détective de Chandler, doit son nom au dramaturge élisabéthain Christopher Marlowe, contemporain de Shakespeare. Étonnant non, ce clin d’œil du polar à la tragédie shakespearienne ! Julius Caesar en privé, costard cravate ? Arthur Nauzyciel l’ose dans un thriller noir, une version sixties jazzy de la tragédie, inscrite à une période charnière de l’histoire américaine (John Fitzgerald Kennedy fut assassiné en 1963) avec une troupe de Boston. Douze hommes et une femme subliment la langue de Shakespeare en vo sous-titrée, un théâtre fantasmé comme un thriller où les corps s’arc-boutent dans le clair-obscur des antichambres vénéneuses – la nuit tous les politiques sont gris – genoux à terre ou bras levés pour un pacte sanglant. Les spectres shakespeariens deviennent des Hommes du président, confrontés à la mécanique du pouvoir et à la puissance de la rhétorique capable de retourner l’opinion. En politique comme chez les malfrats, il pleut des coups tordus, suspens et retournements de situations garantis.

Brutus (Neil Patrick Stewart) est un naïf tourmenté, qui croit sauver la démocratie romaine en assassinant César (Dylan Kussman), son ami, et ne fait que précipiter sa chute dans les bras de Marc Antoine (Daniel Pettrow). Erreur fatale ! Julius Caesar tord de plus en plus le cou aux institutions démocratiques et mène une campagne populiste, mais le peuple l’admire. « Préférez-vous César vivant, argumente Brutus, et mourir esclaves, ou César mort, et tous vivre libres ? César m’aimait, je le pleure. Il connut le succès, je m’en réjouis. Il fut vaillant, je l’honore. Mais il fut ambitieux et je l’ai tué. ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, Brutus paiera de sa vie sa méprise.

Caius (Mark Montgomery), Brutus et consorts chuchotent, un verre à la main, dans le hall d’entrée d’un parti politique, au Sénat peut-être, décoré du gisant de César relooké à la Andy Warhol. Casca (Roy Faudree), un des conjurés, se dandine passablement aviné, la cravate de travers, il aura toujours l’air d’un noctambule entre deux eaux. Les ombres se projettent sur des panneaux, de palabre en conciliabule le complot se dessine, économie de gestes, efficacité maximum, aucune grandiloquence. L’espace s’ouvre ensuite sur l’arène d’un hémicycle qui rappelle la salle Art déco du Grand Rex, temple du cinéma mais aussi du spectacle, aux gradins rouge incarnat, dont la photographie nous fait face (magnifique décor de Riccardo Hernandez). Sous les savants pinceaux lumineux de Scott Zielinsky, des espaces vont s’ouvrir ou se fermer, laissant apparaître l’appartement de Brutus aux meubles rétros ou l’enceinte du Sénat réuni pour le couronnement de Caesar, on se croirait à Cinnecita.

Un trio de jazz – composé de Marianne Solivan à la voix de velours, du guitariste Éric Hofbauer, et du contrebassiste Dmitry Ishenko – nous ensorcèle  sur un répertoire des années 1930 à 1970 (Goody Goody de Johnny Mercer, No Moon At All de Redd Evans, Suicide Is Painless de Mike Altman…), la politique divise et la musique rassemble, les acteurs sablent le champagne avec l’orchestre après l’entracte, dans la tradition élisabéthaine du divertissement festif qui ne sépare pas théâtre et musique.

Sur l’arène rouge du sang qui va être versé, l’assassinat de Caesar, sur une chorégraphie subtile de Damien Jalet, est gore, trente-trois coups mortels, dont il se relèvera en vampire gorgé d’hémoglobine à la bouche déchirée d’un hurlement muet, sur l’air du groupe canadien Arcade Fire, My Body Is a Cage. Le sang a créé une communauté de conspirateurs, le machiavélique Marc Antoine feignant la solidarité, leur serre la main individuellement face à la dépouille du défunt. Chaque instant est archétypal à ce niveau jeu, les arrêts d’images aux postures stylisées dilatent le temps. L’inventivité de Shakespeare, son exubérance, sa façon de mélanger comique et tragique, pleins et déliés enroulés, tout résonne, les linéaments organiques de la langue parlée se fondent dans l’expression des sentiments et l’architecture poétique des vers. Ultime coup de théâtre d’une puissance rhétorique magistrale, Marc Antoine, dénonce la manipulation du peuple par Brutus, qui sait « enflammer vos esprits (…) et les faire dresser pour la révolte » pour mieux assoir son pouvoir, ce faisant il enterre définitivement la république romaine. La seule femme de la distribution (Sara Kathryn Bakker) est d’une présence folle de désir et d’inquiétude pour son mari Brutus dans une scène nocturne délicate et mélancolique.

Avec ces maîtres de la scène parfaitement dirigés, Shakespeare est d’une jeunesse et d’une vitalité exceptionnelle jusqu’à la danse finale dont l’humour, la beauté et la simplicité rappellent Pina Bausch. Standing ovation du public pour un théâtre total qui humanise les fantômes shakespeariens !

Jules Caesar, crée en 2008, prend aujourd’hui une résonnance cauchemardesque. La république romaine dura presque un siècle, face à la montée du populisme et du fascisme, combien de temps nos démocraties résisteront-elles ?

 

© Philippe Chandel

 

Julius Caesar, de William Shakespeare

Spectacle en anglais surtitré en français

Mise en scène : Arthur Nauzyciel

Décors :  Riccardo Hernandez

Lumières :  Scott Zielinski

Costumes : James Schuette

Son : David Remedios

Chorégraphie : Damien Jalet

Avec : Sara Kathryn Bakker, Davis Barlow, Jared Craig, Roy Faudree, Ismael Ibn Conner, Isaac JosephThal, Dylan Kussmann, Mark Montgomery, Rudy Mungaray, Daniel Pettrow, Timothy Sekk, Neil Patrick Stewart, Jim True-Frost et les musicien·nes Marianne Solivan, Eric Hofbauer, Dmitry Ishenko

 

Durée : 3h20 avec entracte

Jusqu’au 15 mars, du mercredi au samedi à 20h

 

Les Gémeaux

49, avenue Georges Clemenceau  

92330 Sceaux

 

Réservations : 01 46 61 36 67

www.lesgemeaux.com

 

 

 

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