© Simon Gosselin
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Prague est la ville du Golem et le Golem est la créature de Prague, une ville de mystères, de miracles, de pogroms sanglants, une métropole kabbalistique, sur laquelle flotte une aura de savoirs obscurs, de légendes juives abimées, considérées parfois comme une sous culture. Le Golem en est l’emblème, un être mythique et littéraire que l’on croit voir surgir à tout moment entre les stèles du cimetière juif, censé protéger les hommes. On peut même y trouver la tombe de Rabbi Löw dans un coin, le rabbin à l’origine de la légende du Golem. Cet humanoïde de boue et d’argile, Amos Gitaï nous le rappelle, est tiré du néant grâce au verbe, une formule secrète est écrite sur son front le mot emeth – vérité en hébreu – une métaphore de l’écrivain en quelque sorte. Il peut se dérégler et tout détruire à la moindre faute d’orthographe !
Amos Gitai crée un poème théâtral fait de musiques, de fragments de textes d’Isaac Bashevis Singer, Joseph Roth, Léon Poliakov, Lamed Shapiro, de saynètes dialoguées, un travail rigoureux et organique sur la symbolique métaphorique de la langue et sa plasticité du yiddish au français, à l’allemand, de l’arabe à l’espagnol au ladino et au russe, doublé d’une recherche visuelle ambitieuse. Le Golem en est la trame, incarnation de l’exil et des errants, dont le metteur en scène explore très intelligemment toutes les significations passées et présentes dans la vie de chaque comédien et plus largement dans l’imaginaire de chaque spectateur. Il sculpte son Golem brique par brique, lambeau après lambeau, fragment après fragment sur une scène chantier au sens propre comme figuré. Les accessoires et les décors tombent des tringles à la manière des assemblages surréalistes, il pleut des vêtements sur les comédiens qui piochent à leur gré dans la vaste recyclerie à ciel ouvert ; toujours présents sur le plateau, ils déplacent eux-mêmes des panneaux amovibles. L’immédiateté du rapport à la matière, aux sons, aux récits ancestraux, l’éternel retour des massacres se déplie à livre ouvert, les éléments semblent parler, les lumières, la brume, le vent, l’indicible de la mémoire. Les morts ressuscitent pour nous livrer un message essentiel, et les hommes se transforment en Golem à Babi Yar, de rouille et d’os. On fait avec les moyens du bord, le rire succède à l’effroi comme un toast L’chaim ! à la vie ! Ça devient burlesque lors du procès qui voit un juif être accusé d’avoir tué une jeune fille et d’utiliser son sang pour préparer des matsots avec un juge keatonien (Micha Lescot toujours aussi élastique) confronté à un lâché de décors dadaïstes.
Les hommes ont la possibilité de créer un être, il suffit d’écrire tout à coup sur de la terre et de l’eau mêlées, une phrase, un mot, une lettre et ça prend vie, c’est ça l’histoire du Golem, on ne peut exister qu’à travers le langage et le yiddisch est une métaphore de l’identité juive, « L’art est résistance », conclut Amos Gitai par la bouche de Micha Lescot. Ce Golem polymorphe, fait d’épouvante et d’espoir, existe à la fin, on le porte en nous comme un talisman.
Face à l’onde de choc qui sévit outre-Atlantique, son obscurantisme, son racisme, son mépris de la culture, de la science, des minorités, des peuples d’Europe Centrale traités comme quantité négligeable, Golem, ne nous abandonne pas, lève-toi !
© Simon Gosselin
Golem, texte d’Amos Gitaï et de Marie-José Sanselme
Mise en scène : Amos Gitaï
Avec : Bahira Ablassi, Irène Jacob, Micha Lescot, Laurent Naouri, MenasheNoy, Minas Qarawany, Anne-Laure Ségla
Violon et synthés : Alexey Kochetkov
Santour : Kioomars Musayyebi
Piano : Florian Pichlbauer
Et les chanteuses Dima Bawab, Zoé Fouray, Sophie Leleu
Voix et harpe : Marie Picaut
Recherche : Rivka Markovitski Gitaï
Assistanat à la mise en scène : Céline Bodis, Talia De Vries, Anat Golan
Lumières : Jean Kalman, assisté de Juliette de Charnacé
Son : Éric Neveux
Scénographie : Amos Gitaï, assisté de Sara Arneberg Gitaï
Coiffures et maquillage : Cécile Kretschmar
Costumes : Fanny Brouste, assistée d’Isabelle Flosi
Patine costumes : Emmanuelle Sanvoisin
Vidéo : Laurent Truchot
Conseiller musical et chef de chœur : Richard Wilberforce
Préparation et régie surtitres : Katharina Bader
Conseiller et coach yiddish : Shahar Fineberg
Fabrication des accessoires, costumes et décor : ateliers de La Colline
Durée : 2h
Jusqu’au 3 avril 2025
Du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
Réservation :
01 44 62 52 52
www.colline.fr
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