© L’Echangeur-CDN
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
« Je cours à contre-courant, vers ce qui me maintient en vie, cette liberté d’être qui je suis. » Soprano
Formidable Alice Davazoglou, chorégraphe et danseuse atteinte de trisomie qui jette son corps hors-norme dans la bataille de la danse contemporaine sans se soucier de son handicap, en fait un levier contre l’exclusion, prouvant que rien n’est impossible à qui se préoccupe peu du regard et des préjugés. Avec Alice Davazoglou la danse est toujours plus que de la danse, c’est une affirmation franche et exemplaire d’être au monde qui annihile toute prévention envers le handicap et son cortège de stéréotypes. C’est d’être aussi la seule chorégraphe porteuse de trisomie, maîtresse absolue de sa danse, et inversant ici la donne ordinaire et rebattue jusqu’alors, à diriger des danseurs sans nul handicap. Si elle est exceptionnelle ce n’est pas d’être une exception dans sa pratique. C’est par son talent brut, singulier, d’être sur un plateau comme chez elle, de donner à la danse un éclat nouveau, sans chichi ni pompon, loin de toute sophistication pour une approche du geste immédiate, d’aucun diront naïve et prenons ça comme un compliment, d’une très grande sensibilité dans son appréhension et son expression.
Avec Danser ensemble, Alice Davazoglou réunit 10 chorégraphes, femmes et hommes, et pas des moindres, Gaëlle Bourges, Lou Cantor, Bruce Chiefare, Nathalie Hervé, Marc Lacourt, Bérénice Legrand, Xavier Lot, Béatrice Massin, Mickaël Phelippeau, Alban Richard, à qui elle propose, dans une volonté de transmission et de partage, sa danse, à charge pour chacun et chacune de réinterpréter à sa façon chaque proposition. Le résultat est proprement bluffant et fascinant qui vous transporte très vite et très loin. Sur le plateau règne une joyeuse effervescence, une franche camaraderie entre chaque, un bonheur évident de partager ces courtes chorégraphies, de démontrer combien Alice Davazoglou est une grande chorégraphe. Pas un corps qui ne soit identique et chacun de se débrouiller avec ce qu’il est, de faire avec, de dialoguer avec le corps de son partenaire, de s’adapter aux exigences des chorégraphies à l’aune de son propre univers chorégraphique. Ainsi Béatrice Massin ajoute quelques inflexions de baroque, normal, là ou Alban Richard appose le sceau de son énergie explosive. Jeunes, vieillissants ou déjà matures, ces dix prouvent également que la danse n’a que faire de l’âge des artères des interprètes, que tout est affaire de liberté et que la richesse d’une interprétation est plus dans la différence, l’expérience, devenu un sacré atout, que dans l’uniformité. Importe ici davantage le plaisir pur de danser sans prétention autre et créer ensemble, d’un même élan, d’explorer les possibles des chorégraphies d’Alice Davazoglou, ces paysages intimes, miniatures d’une grande délicatesse, autoportraits en creux d’une « trisomique normale mais ordinaire ». Il faut par ailleurs tendre l’oreille, entendre la bande-son qui accompagne chaque chorégraphie, rien n’est laissé ici au hasard, rien d’innocent, qui de Pierre Perret à Soprano, distille un message militant bien senti tout en insufflant une dynamique propre à chacun de ces pas-de-deux se succédant. Et si nous devions résumer ce qui traversait cette création dans son humeur sans doute est-ce le fou-rire irrépressible d’Alice Davazoglou devant les pitreries d’Alban Richard et Marc Lacourt, qui bien après la représentation résonnait encore en nous.
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Danser ensemble, chorégraphie d’Alice Davazoglou
Avec : Gaëlle Bourges, Lou Cantor, Bruce Chiefare, Nathalie Hervé, Marc Lacourt, Bérénice Legrand, Xavier Lot, Béatrice Massin, Mickaël Phelippeau, Alban Richard
Vu le 17 février au Carreau du Temple, Paris, dans le cadre du Festival Everybody
Tournée :
Du 27 février au 1er Mars, Le Quartz, Brest
Du 16 au 17 avril 2025, au TAP, Poitiers
Du 4 au 8 juin, Festival La Maison Danse, La Maison CDCN, Uzès
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