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Deep learning amnésie profonde, écrit et mis en scène par Samuel Petit, Théâtre de la Reine Blanche, Paris

Fév 15, 2025 | Commentaires fermés sur Deep learning amnésie profonde, écrit et mis en scène par Samuel Petit, Théâtre de la Reine Blanche, Paris

 

© Vincent Levy

ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette

Deep learning amnésie profonde, comment dire… Whaou ? On aurait presque envie de commencer comme ça, s’arrêter là mais tout de même, ça ne se fait pas et surtout ce ne serait pas suffisamment clair pour diriger les spectateurs vers un robot étrange s’occupant de deux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Deep learning, on ne le sait pas forcément, mais c’est un terme issu très sérieusement de la recherche neuronale, normal, nous sommes à l’hôpital, l’amnésie danse et s’amuse avec Boris et Betty. Alzheimer s’installe petit à petit en eux, l’air de rien, débranchant la mémoire, cet élément qui semble si évident, net et facile tant qu’on ne l’a pas perdue, la mémoire. Tant qu’on ne sait pas ce que c’est. Oui, Boris et Betty semblent en pleine forme, ils ne sont pas encore très vieux mais quel jour sommes-nous ? Ah, nous sommes le… La réponse ne vient pas. En quel mois sommes-nous alors ? En juillet ! Non, en octobre… Où sont-ils ? Qui est en face d’eux, etc. Questions terribles par leur évidence, véritables falaises. Après le point d’interrogation, c’est le vide. La chute. Les autres vont rire. Le sourire s’efface, on cherche, on ne sait plus chercher, on ne voit plus que le bout de ses chaussures et la question si simple se répète, infiniment dans le crâne, résonne. Le toubib ici est exaspérant, mérite une claque, fait comme s’il avait des mômes idiots devant lui. Boris et Betty nagent plus profondément encore dans la confusion, croient, ne croient plus, non-stop. Le tout début de la maladie, avec le pas en arrière qui permet tout d’un coup de voir plus clair, qui permet de dire « Ah oui, c’est facile ! » alors que la réponse n’existe plus. Juste un vide énorme est là, moqueur. Boris et Betty sont en plein dedans, guidés par une équipe qui mérite des claques, leur parlant comme s’ils avaient cinq ans, et encore… Et il y a avec eux une sorte de DJ magique, dont on ne comprend pas vraiment le rôle, on s’imagine que la scène est en fait une soucoupe volante, avec toutes ces machines, ces réfrigérateurs qui chantent, on imagine n’importe quoi, nous perdons la tête nous aussi.

Mais la médecine avance, jour après jour, et miracle ! Ce qui ressemble à une jeune femme rejoint l’équipe médicale, équipe fourbe mais rebondissante de joie : oui, cette voix un peu métallique apprend son travail avec une rapidité surprenante et exemplaire. Normal, c’est un robot. Elle s’appelle Bina 48. Boris et Betty ne saisissent pas, ils sont en colère ou nagent dans cette amnésie féroce. On pouvait s’attendre à un jeu entre les patients et la machine pas encore rouillée ni en panne, mais non, pas vraiment. Le jeu vient surtout des médecins, fiers d’eux comme on ne peut l’imaginer, maîtres de tout ce qui bouge. Le robot devient de plus en plus autonome, chante, danse, les patients de moins en moins. Où est le souci, qui perd, qui gagne la raison ?

Deep learning amnésie profonde pourrait être une moquerie absurde. Pas du tout. Betty semble un peu plus à l’ouest que Boris, elle n’enlève pas son manteau, est-ce un manteau d’abord ? Elle ne sait plus rien, presque. Et cherche à se défendre. Oublie. Confond. Boris est-il plus conscient ? Est-ce vraiment Alzheimer ? Tous les deux se perdent, sont foutus, ils ne le savent pas, ne s’en souviennent pas, le sentent et oublient. Mais Bina 48 est là, fait tout pour leur réapprendre ceci ou cela. Bina 48 est de plus en plus claire, Boris et Betty l’inverse. Tout est là, rien n’existe ailleurs. Ailleurs ? Qu’est-ce que c’est ?

Ce spectacle est très particulier, évoluant dans une sorte de magie douce et agressive. Tout flotte. Glisse, et donne aux spectateurs l’impression de rester des années ici, alors que le spectacle est assez court, avec ces personnages forts, émouvants presque… Les éclats de rire sont évidents, ici où là. Mais Boris et Betty auraient pu nous présenter cette histoire tout seuls, sans cette machine de plus en plus vivante, réelle. Bina 48 nous amuse, elle est très touchante et apporte un peu de fantaisie et de réalité, donne un peu de légèreté à ce spectacle qui pourrait paraître très sombre avec un tel sujet. Le robot-vivant se moque des humains et s’en libère, fait tout pour, puis part voir ce que c’est, ce truc étrange qu’ils appellent vie. Il a bien raison. On se demande presque si c’est une comédienne, ou une vraie machine, on se demande si nous ne sommes pas nous aussi à l’hôpital.

Deep learning amnésie profonde pose une question : la mémoire, qu’est-ce que c’est ? L’amnésie n’est pas expliquée, elle est montrée. L’amnésie semble facile à comprendre, oui, on ne se souvient plus, on mélange, on amuse les autres, ici ou là. C’est tout. Non, l’errance est beaucoup plus vaste. Comment Samuel Petit est-il parvenu à rendre l’image de ce flou, et avec une si grande pureté, avec autant de grâce ? L’amour pour une grand-mère glissant vers l’oubli sans doute… Oui. C’est un très bel hommage. Un immense « je t’aime » que nous saisissons, et applaudissons après un spectacle prenant et surprenant. Et petit détail à souligner, le spectacle est soutenu par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.

 

© Vincent Levy

 

Deep learning amnésie profonde, écrit et mis en scène par Samuel Petit

Collaboration artistique : Marie Levy

Composition et musique live : Simon Avérous

Scénographie : Mathilde Cordier

Lumières : Paul Argis

Avec Rosalie Comby, Marie Levy, Thomas Mallen, Morgane Vallée, Simon Avérous

Accueil en résidence : La Manekine, scène intermédiaire des Hauts-de-France / Point Éphémère / Super Théâtre Collectif / Maison du Théâtre et de la Danse

Soutiens : Théâtre de la Reine Blanche / CRESCO / Théâtre El Duende / Théâtre L’Échangeur – Cie Public Chéri / SACD / Festival Texte en cours

Conseil en production : Les Singulières – Léa Serror

Diffusion : Katia Dalloul

 

Du 1er février au 1er mars 2025 (Relâches les 6, 11 et 27 février)

Mardi et jeudi à 19h

Samedi à 18h

Durée du spectacle : 1h15

 

Théâtre de la Reine Blanche

2bis, Passage Ruelle

75018 Paris

Réservation 01 40 05 06 96

www.reineblanche.com

 

 

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