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Sémélé, opéra de Georg Friedrich Haendel, livret de William Congreve, direction musicale d’Emmanuelle Haïm, mise en scène d’Oliver Mears, au Théâtre des Champs-Elysées

Fév 14, 2025 | Commentaires fermés sur Sémélé, opéra de Georg Friedrich Haendel, livret de William Congreve, direction musicale d’Emmanuelle Haïm, mise en scène d’Oliver Mears, au Théâtre des Champs-Elysées

© Vincent Pontet

fff article de Denis Sanglard

 Sémélé, fille de Cadmus roi de Thèbes, amoureuse secrètement de Jupiter se refuse à son promis Athamas le jour de son mariage. Jupiter rompt cette union, enlève Sémélé. Ino, sœur de Sémélé, avoue son amour à Athamas qu’il prend pour de la compassion. De l’Olympe Sémélé exprime sa jouissance d’un amour éternel. De son côté Junon, gardienne du mariage, instruite par Iris la messagère des Dieux de cet adultère, décide de se venger. Pendant ce temps Sémélé, bien qu’heureuse, exprime son désespoir de n’être pas immortelle. Jupiter, ayant pris forme humaine, inquiet de cette prétention demande à Ino de rejoindre sa sœur pour la divertir. Junon demande à Somnus, le dieu du sommeil, avec la promesse de lui offrir la compagnie de la nymphe Pasithéa, d’inspirer à Jupiter le désir de posséder Sémélé, de charmer les dragons qui garde le palais, enfin d’endormir Ino pour que Junon apparaisse sous ses traits à Sémélé. Ainsi métamorphosée en Ino, Junon flatte par un miroir magique la beauté de Sémélé. Sémélé accepte ce que Junon lui conseille, se refuser à Jupiter tant qu’il ne s’est pas présenté à elle sous sa véritable nature divine pour exiger de lui, ensuite, l’immortalité. Sémélé arrache à Jupiter de lui accorder une promesse irrévocable. Il jure devant l’Olympe. Et regrette la demande parce qu’il sait que son apparition en Jupiter tonnant anéantira sa maîtresse. Sémélé réalisant trop tard les conséquences de ses vœux, se consume dans le feu, foudroyée, et meurt. Junon triomphe. Ino de retour à Thèbes informe du sort de sa sœur et l’ordre de Jupiter de célébrer son union avec Athamas qui consent. Appolon apparaît at annonce que des cendres de Sémélé a surgit un phénix, Bacchus.

Voilà en résumé le livret de William Congreve, d’après les métamorphoses d’Ovide, cœur de l’opéra de Haendel, originellement conçu comme un oratorio. Histoire d’une vanité, coquette voulant s’élever au-dessus de sa condition de mortelle, défiant de fait les lois divines, et Junon au premier chef. La mise en scène d’Oliver Mears fait le choix délibéré d’une modernité au mitan des années 50/60. L’olympe est un palace où officie comme femme de chambre Sémélé, Camus en étant le directeur et Jupiter le propriétaire. La première image, en prélude, voit notre héroïne, cendrillon moderne, retirer les cendres encore chaude du foyer au centre de la piéce quand survient Jupiter, accompagné de l’Amour portant une urne comme un futur trophée… La conquête de Sémélé s’apparente davantage à un droit de cuissage, plus ou moins consenti sans doute, et place dans une position délicate notre héroïne ainsi déclassée par la volonté de son amant. Sa demande d’immortalité n’est qu’une demande, pour le metteur en scène, de légitimité, de n’être plus une maîtresse de plus mais une égale dans un système patriarcal. Mais pour avoir trahi sa classe et rompu avec les liens sacrés du mariage, elle ne peut être que punie. Junon ici est une matrone, une vraie mégère, vengeresse mais gardienne avant tout des lois maritales et d’un ordre social pensé inaliénable et qu’on ne peut troubler. Sémélé doit donc mourir pour l’exemple.

 

© Vincent Pontet

Ce qui commence comme une comédie légère, un aimable marivaudage, sémillant et sensuel, avec une pointe de sage érotisme, peu à peu s’assombrit et vire à la tragédie. La dernière scène était déjà annoncée dans la première, une mise en abyme comme une mise en garde. Jupiter c’est Landru, c’est dit. Olivier Mears prend soin de détourer avec soin chacun des protagonistes, de leur donner un vrai caractère projeté dans une drôle et cruelle carte du tendre, fatale pour tous, au-delà ou presque des clichés du baroque. Junon, la formidable, explosive et expressive mezzo-soprano Alice Coote, irascible distribue des baffes à l’envie, sure de son bon droit mais ça et là perce une souffrance de femme blessée, victime elle aussi d’un mari volage auquel elle s’agrippe avec force dans la dernière scène, témoignage d’une certaine vulnérabilité. Ino (la mezzo-soprano Niamh O’ Sullivan) n’a pas d’autres choix, littéralement à bout, renversant les rôles, ultime geste désespéré, d’agresser à bouche-que-veux-tu, le fiancé de sa sœur. Ce dernier, Athamas (le contre-ténor Carlo Vistoli), consent à l’ordre final de Jupiter de l’épouser mais n’exprimant que de la colère se fait promptement, c’est inattendu, dézingué par l’Amour. Ainsi Ino, cruel destin, perd la partie définitivement. Somnus (la basse – voix très profonde et caverneuse- Brindley Sherrat, chantant aussi le rôle de Cadmus) est un vieil ivrogne dont le sommeil n’est qu’un long comas éthylique dans une salle de bain crasseuse où s’entassent les bouteilles. Seule la promesse d’épouser la jeune nymphe Pasithéa le réveille et réveille l’égrillard qui dort en lui. Iris (la soprano Marianna Hovanisyan) est une suivante et messagère consciencieuse et appliquée, sans état d’âme. Cadmus est un directeur tétanisé, dépassé par les évènements. Jupiter est un séducteur compulsif non sans tendresse, sincère en son amour pour Sémélé mais pris au piège d’une promesse passe de la colère au remord.

Le ténor Ben Bliss, merveille d’une voix d’airain étourdissante capable de grande subtilité dramatique, est un Jupiter tout en contraste, entre muflerie et tendresse, colère et remords, impuissant et désespéré devant une promesse qu’il ne peut retirer. C’est une distribution vocale de haute-volée, sans nul accroc, que domine haut mais sans l’écraser la soprano Pretty Yende dont c’est la première incursion absolument réussie dans le baroque. Sublime voix, confirmée encore ici, et interprétation d’une grand finesse. Passant de la légéreté d’une jeune fille inconsciente, amoureuse d’une grande et bouleversante sensualité, à la gravité de la femme sacrifiée sous le poids de ses ambitions, c’est un maelström d’émotions, de couleurs, de nuances qui vous foudroie. Son ultime air, une déploration, alors qu’elle subit un avortement, scène glaçante, vous déchire littéralement et vous broie. Ajoutons le chœur Le concert d’Astrée, une armée de grooms et de femmes de chambres habilement dirigée par le metteur en scène pour en faire, eux aussi, de vrais protagonistes et caractères, ne sont pas en reste. La direction de Richard Wilberforce, est énergique sans jamais oublier, là aussi, d’infinis nuances. Que l’on retrouvent dans la fosse où Emmanuelle Haïm est tout à son affaire dans cette relation étroite qu’elle entretient avec Haendel, laquelle embarque et transporte l’orchestre Le concert d ’Astrée dans un mouvement dynamique, une spirale d’émotions contrastées, moirées, entre caresses et fracas , qui jamais ne se relâche pour une lecture dramatique d’une grande clarté, d’une grande fluidité. Une soirée qui côtoie les Dieux !

© Vincent Pontet

 

Sémélé, opéra de Georg Friedrich Haendel

Livret de William Congreve

Direction musicale d’Emmanuelle Haïm

Mise en scène d’Oliver Mears

Chorégraphie : Sarah Fahle

Scénographie et costumes : Annemarie Woods

Lumières : Fabiana Piccioli

Direction d’intimité : Yarit Dor

Avec : Pretty Yende, Beb Bliss, Alice Coote, Brindley Sherrat, Niamh O’ Sullivan, Carlo Vistoli, Marianna Hovanisyan

Orchestre Le concert d’Astrée

Chœur Le concert d’Astrée direction William Wilberforce

Comédiens : Lauren Bridle, Bridget Lappin, Bailey Pepper, David Rawlins

Figurants enfants (Maîtrise des Hauts-de-Seine) : Jade Agrabi, Mathilda Game, Apolline Pouchard

 

Opéra chanté en Anglais surtitré

 

Jusqu’au 15 février 2025 à 19h30

Durée 3h avec entracte

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

 

Réservations : 01 49 52 50 50

www.theatredeschampselysees.fr

 

 

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