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La réunification des deux Corées, écrit et mis en scène par Joël Pommerat, Théâtre des Célestins, Lyon

Jan 09, 2025 | Commentaires fermés sur La réunification des deux Corées, écrit et mis en scène par Joël Pommerat, Théâtre des Célestins, Lyon

 

© Agathe Pommerat

 

ƒƒ article de Paul Vermersch

Le plaisir d’assister au spectacle de Joël Pommerat est certes de découvrir la forme très attractive de cette pièce, composée de tout un tas de situations indépendantes les unes des autres, renouvelant à chaque fois notre attention et notre curiosité, mais c’est surtout de sentir une théâtralité très assumée, très nette. Le projet est clair : on est à l’endroit de la situation dramatique classique, du conflit interpersonnel, du dialogue, c’est cette modalité-là du jeu que l’on explore et que l’on revisite, la démarche est visible et très honnête. Une variation théâtrale qui n’est pas vraiment thématique et qui explore des conflits en partie amoureux mais pas que, et qui vient plutôt, en filigrane, interroger notre rapport à l’échec dans nos relations intimes. D’une certaine manière c’est en fait ce à quoi on assiste : quelque chose vient dans chaque scène échouer, parfois dans un très grand fracas, parfois dans moins de remous, mais quelque chose s’interrompt toujours. Et on pourrait dire que ce qui finit par se dessiner au plateau, c’est le portrait d’une Humanité qui rate, qui se rate, qui reste séparée, et c’est par cette entrée d’ailleurs que l’on saisit le mieux le titre : « La réunification des deux Corées » : impossible.

Tout au long de la pièce les situations devant nous sont très concrètes : une femme sur le point de se marier apprend que son futur époux a eu des relations avec ses quatre sœurs, un couple sans enfant engage une baby-sitter pour croire à une vie de famille, un instituteur couche un élève dans son lit lors d’un voyage en classe verte, un mari rend visite à sa femme malade qui ne se souvient plus de lui, une prostituée est prête à se donner gratuitement pour se sentir désirer, un médecin essaie de convaincre une jeune femme handicapée d’avorter d’un homme pervers et violent, etc. Dans ces sortes de flashs, de mini-zooms sur des instants de crise, Pommerat vient cerner des relations impossibles, des ruptures, ce qu’on pourrait appeler des moments-limites où la relation (soit avec les autres, soit avec soi-même) arrive à un point de non-retour, où elle échoue. Et chaque fragment est toujours un peu différent, vient mettre en lumière des dilemmes qui ne sont jamais les mêmes, qui ont à voir avec des questions d’engagement, de maternité, d’abus ou de relation de pouvoir. Et il y a une vraie satisfaction à découvrir scène après scène ces situations nouvelles, d’autant plus que, et c’est peut-être d’ailleurs ce qui fait le liant entre chacun des fragments, la construction des situations ménage toujours une manière de surprendre, voire même d’étourdir les spectacteur.ices, soit en renversant la situation (qui se révèle ne pas du tout être ce qu’on y avait premièrement lu), soit en l’extrémisant (en emmenant les enjeux à un point paroxystique très élevé et inattendu). Des dramaturgies finalement assez efficaces et dont on comprend les mécanismes très nettement une fois l’effet passé, mais qui pour autant opèrent sur le moment et surprennent. On a du plaisir à se faire tromper, à se rendre compte que l’on s’est laissé.es berner, et si l’on rit assez franchement c’est sûrement aussi un peu de nous. Si la forme est dynamique, ce qui s’aborde demeure malgré tout assez grave et le rire est surtout jaune : la pièce porte, en fin de compte, un regard assez cynique sur nos intimités, en mettant en avant la part de solitude dans nos relations personnelles et notre aveuglement, difficilement dépassable.

Mais il faudrait quand même dire que malgré la fluidité de la forme, l’inventivité des situations et de leurs résolutions, l’objet se construit aussi un peu avec des creux : tous les fragments ne sont pas égaux, certaines scènes sont moins nettes que d’autres dans ce qu’elles viennent pointer de ces rapports qui échouent. Et si les états de jeu des acteur.ices amènent parfois à des fulgurances dans les crises, on est aussi souvent face à une théâtralité un peu expéditive, pas naturaliste et pas non plus vraiment composée, qui s’égare de temps en temps dans des situations un peu plus attendues ou semblant moins essentielles au propos. Des temps morts qui finalement ne gênent pas tant, mais qui floutent le projet et qui au fil du spectacle finissent par faire un peu écran à notre adhésion.

 

© Agathe Pommerat

 

La réunification des deux Corées, écrit et mis en scène par Joël Pommerat

Scénographie et création lumière : Éric Soyer

Costumes : Isabelle Deffin

Avec : Saadia Bentaïeb, Ella Benoît, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu

 

Du 7 au 17 janvier 2025

Durée : 1h50

 

Théâtre des Célestins

4, rue Charles Dullin
69002 Lyon

https://www.theatredescelestins.com/fr/programmation/2024-2025/grande-salle/la-reunification-des-deux-corees

 

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