© Agathe Poupeney
fff article de Denis Sanglard
Il y a d’abord ce danseur, seul dans une lumière entre chien et loup, sortant du néant et glissant sur le sol. Illusion d’un corps flottant, en apesanteur. Bassin, épaules et bras ondulant comme algues dans le flux et le reflux des marées ou branches secouées par le vent. Regard fixe, tourné vers un horizon intérieur mais conscient de ce qui l’entoure et qui semble l’obliger. Une marche aléatoire, soumise à d’infimes variations, qui découpe, sculpte et redéfinit l’espace dans lequel il évolue. Bientôt un second, puis un troisième, un quatrième… entrent à leur tour, se croisent, gestes semblables au premier. Pour finir, ils sont une vingtaine, qui lentement s’agrège impercptiblement pour ne faire soudain qu’un seul et même organisme. Un organisme vivant, combinaisons d’atomes sans noyau, unis dans un mouvement unique, identique et répétitif, porté par un même souffle, une seule et même respiration, visible, entre contraction et dilatation. Le mouvement et la position lentement évoluent dans l’espace, ne cesse de changer d’orientation sans que jamais le groupe ne se scinde. Ou brièvement, éclatant soudain, avant de se recomposer. Mais jusque dans ces fractures inattendues, ces dérèglements déconcertants à bas-bruit, la connexion demeure entre ces îlots toujours éphémères et recomposés. Il y a quelque chose de profondément organique jusque dans ce mouvement répété de façon continue et jusque dans son épuisement, avant sa métamorphose, mais qui échappe à la simple mécanique par cette énergie mise en commun dans cet étrange écosystème où la force et la cohésion du groupe, sa survie, ne tient que par le lien subtil entre les individus qui le forment. Un mouvement ondulatoire continu, des pieds à la tête, qui contamine l’ensemble dans une synchronisation parfaite et absolue, toujours fluide, entre accélération brusque et décélération soudaine. Avec ceci d’inouï que ces changements ou ces métamorphoses sont si imperceptibles parfois, aux limites de notre perception, qu’elles troublent et déstabilisent le spectateur mis devant un fait-accompli sans qu’il ne comprenne comment cela puisse être arrivé. Pour les danseurs, concentrés, au diapason exact des uns des autres, dans la même énergie, une impressionnante synergie, cela tient très vite de la transe, que les nappes sonores de Coti K., scansions techno répétitives et martelées, avant de prendre une autre ampleur qui n’est pas sans rappeler les bruissements furieux du vent où le fracas des marées d’équinoxe, accompagnent quand elles n’impulsent pas le mouvement, le geste lui-même.
L’image qui vient spontanement, c’est cette « murmuration » des étourneaux, ces vols en nuées formant dans le ciel de véritables ballets, arabesques mouvantes toujours recomposées et vives produisant comme ici, un effet puissant d’ondes à travers la masse. Une stratégie de survie et d’échange d’information par un effet ressort qui combine attraction et alignement. Une combinaison sans leader qui selon sa force rend sensible le groupe à chaque infime changement de comportement pour un déplacement rapide et cohérent, une réactivité immédiate et fluide. C’est sans doute à cela que Christos Papadopoulos, fin observateur de la nature, fait référence. Agrégation d’oiseau ou banc de poisson sans aucun doute, mais Papadopoulos évoque également le mycélium végétatif, ce rhizome souterrain, indispensable, champignon qui relie entre eux les organismes végétaux, permettant une reconnaissance de chacun, voire d’organiser leur défense. Une histoire de connexion, vitale pour l’écosystème. Ce qui se passe là de fascinant sur ce plateau, d’une force hypnotique qui vous irradie, dépasse donc le simple cadre de la danse, qui est toujours plus que de la danse chez Christos Papadopoulos, du champ chorégraphique pour une réflexion plus profonde sur le collectif, dont le ballet peut être la métaphore ou simplement le reflet, sur ce qui fait lien inconscient entre les individus et les forces imaginaires ou naturelles qui les meuvent et les mettent en branle collectivement. Christos Papadopoulos ne met pas l’homme au centre d’un écosystème mais comme une partie d’un tout connecté avec l’ensemble de celui-ci. Comme l’affirmait le biologiste Barry Commoner pour qui la première règle de l’écologie était que les éléments sont tous liés les uns aux autres. Est-ce à dire qu’au-delà de ces qualités intrinsèques et de sa poésie, Mycelium est un ballet écologique ? Sans doute. Et c’est très bien.
© Agathe Poupeney
Mycelium, chorégraphie de Christos Papadopoulos
Assistant à la chorégraphie : Georgios Kotsifakis
Musique : Coti K.
Lumière : Eliza Alexandropoulou
Costumes : Angelos Mentis
Maîtres de ballet : Amadine François, Marco Meranda, Raoùl Serrano Nùñez
Régisseur du ballet : Alexandre Mesta
Ballet de l’Opéra de Lyon
Direction : Cédric Andrieux
Avec ( en alternance) : Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Eleonora Campello, Noëlle Conjeaud, Jeshua Costa, Katrien de Bakker, Tyler Galster, Livia Gill, Paul Grégoire, Jackson Haywood, Mikio Kato, Amanda Lana, Eline Larrory, Almudena Maldonado, Eline Malegue, Albert Nikolli, Amanda Peet, Leonnis Puppo, Roylan Ramos, Anna Romanova, Gianmarco Romano, Emily Slawski, Ryo Shimizu, Giacomo Todeschi, Alejandro Vargas, Kaine Ward, Yuya Aoki
Du 18 au 22 décembre 2020 à 20h
Samedi 15h et 20H, dimanche 15h
Théâtre de la Ville /Sarah Bernhardt
2 place du Châtelet
75004 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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