© Léa Skayem
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Inspiré d’une légende arabe, l’histoire du mufti Mohammad ben Daoud dans le Bagdad du IXème siècle, tombé en amour pour un jeune homme, Ben Jomea, passion interdite, transgressive et tragique, The Love Behind My Eyes est un poème chorégraphique d’une beauté sombre où la sensualité n’est que la pudeur d’un érotisme qui se refuse à l’aveu. Ce qui émane de ses corps brochés l’un à l’autre, qu’une lumière entre chien et loup sculpte avec finesse et caresse, c’est l’absolu d’un désir qui affame, la frustration des interdits qui condamnent, la force de la transgression et le tragique de sa résolution. Ali Chahrour, chorégraphe libanais, met à nu la mécanique d’une passion interdite. Chaque tableau où le temps est suspendu, dilaté et tendu à l’extrême, accuse la beauté et la violence de cet amour impossible où chaque geste, dans son ébauche comme dans son accomplissement, prend une ampleur, une puissance bouleversante et phénomènale… Un dos qui se cambre, des épaules qui se creusent, des bras qui prennent leur envol, un bassin qui ondule, des yeux qui se cherchent, deux peaux qui s’effleurent, deux corps désespérés qui se poignent, fusionnant en d’étranges figures, dans de sublimes et originaux portés, expriment plus que le désir mais l’expression d’une sexualité à vif, sublimée et subversive qui ne dérègle pas seulement les sens mais une société toute entière. Ces ventres affamés l’un de l’autre, cet amour que la mort achève, cette chorégraphie dans son ensemble est un subtil et brillant manifeste, un acte de résistance inouï, un geste de révolte, au regard du contexte actuel tant politique que religieux libanais et du Moyen-Orient tout entier que rappelle brutalement la bande-son, souffle continu du vent, pluie diluvienne que couvre bientôt le bruit de bombes et leurs déflagrations. La présence de la chanteuse Leïla Chahrour, mater dolorosa, présence religieuse consolatrice et protectrice, qui chante cet amour-là, entre ces deux hommes, est le gage fragile et l’affirmation attendue, veut-on croire, que la bienveillance et l’acceptation de la différence est possible, voire un geste de réconciliation espéré dans une société arabe aujourd’hui fracturée.
© Léa Skayem
The love behind my eyes, mise en scène et chorégraphie de Ali Chahrour
Avec Leila Chahrour, Chadi Aoun et Ali Chahrour
Musique : Abed Kobelssy
Conception lumières, scénographie et direction technique : Guillaume Tesson
Rédactrice : Isabelle Aoun
Traduction en français : Hoda Jaffald
Du 5 au 8 novembre 2024 à 21h
Durée 50 minutes
A partir de 16 ans
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations : 01 43 57 42 14
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