© Théo Schornstein
ƒ article de Nicolas Thevenot
L’homme soudainement visible paraît immense car l’on ne distingue d’abord, dans l’obscurité, que ses pieds nus, blancs, ses mains, également blanches, et une sorte de sac en papier journal en guise de tête, blanche mouchetée de noir. Josef Nadj introduit et orchestre ce Full Moon, à la manière d’un marionnettiste, instaurant, lorsqu’il n’est pas en position centrale mais en périphérie du groupe de danseurs, une sorte de rapport de manipulation, c’est ainsi en tout cas que l’on peut le percevoir au sens littéral. Pour cette pièce il réunit la même troupe de danseurs, tous des hommes et tous issus du continent africain, que pour sa précédente création (Omma). Torses nus, leur danse est toute en nerfs et en muscles, dynamisée par une bande son aux allures de sample mettant en exergue des rythmes percussifs. Si Josef Nadj indique qu’il a pu faire écouter à son équipe pour ce projet des musiques de Charles Mingus, Cecil Taylor ou Anthony Braxton, force est de constater que ces musiques sont absentes, et que l’accompagnement musical (aucun crédit sur la feuille de salle) de Full Moon ressort plus d’un faire-valoir de la danse et du principe métronomique que de réelles compositions auxquelles elle pourrait se frotter.
Full Moon est structurée en séquences très courtes, la lumière découpant l’espace opportunément pour faire surgir un groupe ou un autre. Les danseurs sont impeccables, et forts, chacun, de leur singularité y compris dans les unissons. Si Josef Nadj exécute une danse théâtrale fortement inspirée des arts asiatiques, prélevant le geste dans l’immobilité du corps pour mieux le détacher et le donner à voir, le groupe de danseurs, lui, évolue par différentes techniques, pouvant aller jusqu’à la citation (music-hall, claquette). Il y a du rythme, les corps se sculptent et apparaissent dans ces soubresauts syncopés, et il y a des rites qui organisent ce collectif, mais ces derniers, c’est leur propre, demeureront impénétrables. Josef Nadj semble vouloir écrire un parcours, une histoire, on repère ainsi une séquence assez signifiante construisant une machine, bielles et pistons représentés par le mouvement des corps. Tout cela est d’une grande efficacité, d’une grande qualité plastique, mais on avoue être perplexe et tenu à distance : la proposition semble s’articuler sur un discours, dont la présence est d’autant plus forte qu’il est informulé sinon par la présence de Josef Nadj en rapport avec le groupe, et les corps semblent être réduits (avec brillance) à s’en faire le porte-parole. Ce discours fantôme est comme un masque et occulte la danse et ce qu’elle pourrait dire par elle-même si on lui laissait le temps de vivre selon sa propre durée et ses propres termes jusqu’à l’expire.
Full Moon, chorégraphie de Josef Nadj
Avec Timothé Ballo, Abdel Kader Diop, Aipeur Foundou, Bi Jean Ronsard Irié, Jean-Paul Mehansio, Josef Nadj, Sombewendin Marius Sawadogo, Boukson Séré
Collaboration artistique : Ivan Fatjo
Costumes : Paula Dartigues
Lumière et régie générale : Sylvain Blocquaux
Durée : 60 minutes
Du 17 au 19 octobre 2024 à 20h00 sauf le samedi à 18h
MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis
9, boulevard Lénine
93000 Bobigny
Tél : 01 41 60 72 72
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