© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Paul Vermersch
Deuxième volet d’un diptyque réalisé avec d’ancien.nes détenu.es de la prison pour femmes d’Ezeiza à Buenos Aires, Los días afuera nous plonge au cœur de la tension de ce que peuvent être « Les jours dehors », lorsque l’on a été « dedans », c’est-à-dire incarcéré.e.
La forme déployée ici par Lola Arias, pensée en écho avec son film Reas qui lui aussi interroge le monde carcéral, nous emporte dans une sorte d’épopée moderne, dans un aller-retour permanent entre la fiction et le document.
Réappropriation par la fiction et théâtralités plurielles
S’inscrivant dans la lignée du théâtre documentaire contemporain, le spectacle vient placer au cœur de son dispositif six « vrai.es » ancien.es détenu.es argentin.es, et on insiste ici pour préserver l’emploi de l’écriture inclusive en ce que l’un d’elles est un homme trans, qui vient lui aussi témoigner de son expérience dans une prison pourtant réservée aux femmes. Cet espace du témoignage opère immédiatement : la parole, même réécrite par la metteuse en scène, attrape à un endroit très particulier en ce qu’elle vient des personnes directement concernées, que ce qui est représenté au plateau n’est finalement pas une représentation, mais plutôt une confession, un partage. On ne se pose pas de question sur le jeu, sur la situation, sur l’aspect véridique ou non de ce qui est formulé, on reçoit simplement la parole, et on entre de plein fouet dans la réalité très concrète de ces ancien.nes détenu.es. Chaque tableau vient recréer un espace pour recevoir des fragments de vie très intimes qui nous donnent à voir la difficile réinsertion dans la vie dite « de dehors » mais pas que, il est aussi question des conditions d’incarcération, de la vie romantique en prison, du rapport à la police, à l’emploi une fois dehors.
Ces moments sont pris, et c’est une vraie force de la proposition, dans une multitude de formes, qui rythment le spectacle et viennent l’hybrider à l’endroit de la comédie musicale ou du cabaret ; plusieurs rendez-vous dansés ou chantés viennent assurer la continuité du propos tout en libérant en espace différent d’expression pour les interprètes dont la qualité performative (parfois reléguée un peu en arrière-fond par la forme assez distanciée de la confession) ressort vraiment et transforme le spectacle en un vrai show. Ce qui touche au-delà de la performance c’est aussi la sensation que le plateau devient l’espace très concret de la fabrication d’une forme artistique à partir des expériences des ancien.es détenu.es ; un espace qui devient alors le lieu de la réappropriation des récits, de leur visibilisation, le tout placé dans une forme ludique qui joue aussi sur ses propres clichés. Par intermittence, les interprètes se retrouvent dans une voiture, placée devant un fond vert, et nous est projeté en live leur faux trajet à chaque fois sur une route différente ; on voit ici un clin d’œil au télénovelas sud-américaines, dont l’esthétique parfois un peu bâclée est rappelée par la sobriété des moyens au plateau, et où la situation très attendue d’une confession dans la voiture devient en réalité le moment pour une plongée vertigineuse dans des expériences de vie extrêmement intenses.
Ceci dit, même si le dispositif déployé autour de ces fragments de vie est assez spectaculaire (grande scénographie d’échafaudage qui vient ancrer la fable au cœur de la ville, musique live sur le plateau, projections, voiture sur fond vert, etc.) on sent tout de même un frottement de nature entre les discours qui nous parviennent : les situations recréées par la mise en scène ne font comme pas le poids au contact de l’intimité et la sincérité des moments de confession. On s’agace un peu parfois de voir cette nécessité de recréer des situations autour de ce qui est amené par le texte, comme une tentative de justification de cette parole qui pourtant tient parfaitement toute seule. Souvent on voudrait que cette mise en scène très apparente recule un peu, car si elle donne une forme aux récits, elle les enferme aussi dans une artificialité assez apparente qui brouille un peu le projet.
© Christophe Raynaud de Lage
Los días afuera, conception, texte et mise en scène de Lola Arias
Avec : Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Estefania Hardcastle, Noelia Perez, Ignacio Rodriguez et Inés Copertino (musicienne)
Dramaturgie : Bibiana Mendes
Collaboration artistique : Alan Pauls
Traduction pour le surtitrage : Alan Pauls (français), Daniel Tunnard (anglais)
Scénographie et décors : Mariana Tirantte
Chorégraphie : Andrea Servera
Musique Ulises Conti, Inés Copertino, Augustin Della Croce
Lumière : David Seldes
Vidéo Martin : Borini
Costumes : Andy Piffer
Assistanat à la mise en scène : Pablo Arias Garcia
Régie générale : David Seldes
Régie vidéo : Martin Borini
Régie son : Ernesto Fara
Du 17 au 19 octobre 2024
Durée : 1h45
Théâtre de la Croix Rousse
Place Joannès Ambre
69004 Lyon
www.croix-rousse.com
Tournée :
6/7 novembre 2024 MAC Créteil, festival d’automne à Paris
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