À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Les brigands, opéra-bouffe de Jacques Offenbach, livret de Meilhac et Halévy, direction musicale de Stefano Montanari, mise en scène de Barrie Kosky, à l’Opéra national de Paris, Palais Garnier

Les brigands, opéra-bouffe de Jacques Offenbach, livret de Meilhac et Halévy, direction musicale de Stefano Montanari, mise en scène de Barrie Kosky, à l’Opéra national de Paris, Palais Garnier

Sep 26, 2024 | Commentaires fermés sur Les brigands, opéra-bouffe de Jacques Offenbach, livret de Meilhac et Halévy, direction musicale de Stefano Montanari, mise en scène de Barrie Kosky, à l’Opéra national de Paris, Palais Garnier

 

© Agathe Poupeney

ƒƒ article de Denis Sanglard

Tentons de résumer ce livret abracadabrantesque de Meilhac et Halévy, qui savait y faire en la matière, où le brigand Falsacappa menacé par ses comparses de sa fin prochaine s’il ne réussit pas à renflouer les caisses de sa troupe, envisage un dernier coup fourré, s’emparer des trois millions de la dote de l’Infante de Grenade qui doit épouser le prince de Mantoue. Aidé par sa fille Fiorella qui envisage pourtant de devenir honnête après être tombée amoureuse de sa dernière victime, Fragoletto, lequel par amour et pour obtenir la main d’icelle se fait bandit pour aider son futur beau-père dans cette affaire. Ça, pour le premier acte. Le second et le troisième verront nos voleurs prendre la place de marmitons puis des représentants du prince de Mantoue afin d’approcher la cour de Grenade, ensuite prendre la place de cette dernière, princesse itou, pour approcher la cour de Mantoue. Et même se travestir en carabiniers pour plus d’efficacité. Tout ça pour faire chou blanc, les caisses de l’état étant vides suite aux malversations du caissier du prince de Mantoue qui a « mangé la grenouille ». Qu’importe, suffisamment retors, voleurs et malhonnête, Falsacappa amnistié par le prince, sera nommé premier ministre.

Jeu de dupe, jeu de rôle, le travestissement et le travesti dans sa dimension transgressive, sociale et sexuelle, devient dans cette mise en scène le centre de l’attraction. On le sait, l’opéra se soucie parfois comme d’une guigne du genre. Le baroque en est l’acmé sublimé. Le metteur en scène Barrie Kosky n’hésite pas, lui, et sans nuance vraiment transforme cet opéra en bal des folles, voir celui des Quat’z’arts, la scène devenant ici un catwalk pour un ballroom camp’ lyrique outrageusement kitch, une gay-pride exubérante qui se voudrait trash mais reste au fond bon-enfant, dans un décor de murs gris tagués de chibres. La troupe de Falsacappa semble échappée d’un clip de Frankie Goes to Hollywood, Relax pour mémoire, au centre de laquelle notre bandit, ici cloné en Divine (feu Harris Glenn Milstead), cultissime et iconique travesti révélé par le réalisateur underground John Waters, à qui il emprunte l’intégralité du vestiaire, robe rouge, maquillage à la truelle et révolver au poing comme le révéla le film manifeste Pink Flamingo (1972). On peut trouver dommage que cet hommage, si hommage il y a, se réduise à un simple cliché homo, un de plus, qui obère ici la véritable dimension politique et la révolution au sein de la culture gay opérée par Divine et John Waters. Et le sortant de son contexte le cantonne au grotesque mais un grotesque évidé, dévitalisé de tout sens satirique et politique pour n’être plus qu’une image et rien de plus, se retournant au profit de cela même qu’elle dénonçait et contre quoi elle luttait. Reste le camp’ dans son acceptation ludique et subversive tel que le définissait Susan Sontag mais là encore la frontière est ténue et l’ambiguïté prégnante entre la réalité d’un mouvement et sa perception en ce lieu conservateur, devient un contresens au risque d’offrir un cliché de plus sur l’image homo folle tordue (version Aznavour) et sans nuance, sujet d’un rire souvent gras pour un public hétéronormé. En somme la volonté de faire de cet Offenbach une œuvre subversive par le truchement de bandits queer, comme le pose le metteur en scène, l’œuvre résistant à ce frottement imposé cette volonté louable échoue quelque peu et ne reste alors qu’une vaste et « sympathique » plaisanterie, un pur divertissement. Oui, Divine était un clown extra-large mais dans sa véritable nature, celui de révéler le tragique du monde et de sa condition.

Ceci posé, Barrie Kosky fait feu de tout bois et sa mise en scène pratique l’art du collage et du décalage ou le trivial peut côtoyer le sublime, les références se télescoper incongrument. L’arrivée fastueuse, impressionnante même, de la cour de Grenade doit tout au peintre Velasquez. Habits carapaçonnés d’or, accompagnés de figures votives pour une Semaine Sainte, l’effet de contraste est garanti. Les carabiniers, eux, semblent échappés du commissariat de St Tropez, où ne manque plus que le commandant Truchot que remplacerait un Laurent Naouri jubilant. Et la cour du prince de Mantoue fait concurrence aux Corleone revisitée par le maestro Fellini (le défilé ecclésiastique dans Roma). L’ensemble tient de l’opéra-bouffe comme du music-hall, voire du cabaret dans cette volonté franche de la satire, le burlesque et du mélange des genres ici joyeusement et sciemment outrés et détournés. Les dialogues revisités par Antonio Cuenca Ruiz passent au laminoir et sans vraiment toujours de filtre notre actualité foutraque, les J.O. et le remaniement (ainsi le Palais Garnier devient-il le Palais Barnier) et la comédienne Sandrine Sarroche à qui échoit le rôle du caissier fait en alexandrin un état des finances du royaume d’une causticité de chansonnière à faire siffler les oreilles de Bercy.

Disons-le crûment, cela manque souvent de subtilité, c’est franchement énôôôrme parfois, quelques longueurs s’installent aussi, ça boite ici ou là à trop vouloir brasser ce qui d’ordinaire ne s’embrasse pas, mais tout cela passe crème si l’on se laisse aller sans rognonner et pinailler au plaisir de la découverte d’un opéra aussi déjanté que peu joué. On peut le comprendre, 22 solistes sont nécessaire, plus le chœur, les acteurs et les danseurs. Il y a foule sur le plateau (au demeurant la circulation des corps ici est parfaitement maîtrisée et d’une grande fluidité) et c’est par eux que cette mise en scène finit par nous séduire. L’énergie est là, incontestable et bouillonnante. L’engagement de même. Ce n’est pas forcement homogène, loin de là, mais le caractère supplée parfois au chant défaillant et inversement. Marcel Beeckman qui fait autant penser à Divine qu’à Dame Edna Everage (le regretté Barry Humphrey), voire Sylvia Fine (Renée Taylor) la mère de Franny dans une Nounou d’enfer, est un Falsacappa qui réussit la gageure de ne jamais être ridicule sur ses hauts-talons et sous ses perruques vertigineuses. Sûreté d’un chant aux variations subtiles qui donne à son personnage autorité et crédibilité, c’est un formidable clown et par lui la subtilité d’Offenbach résonne jusqu’à dépasser et suppléer les intentions défaillantes de la mise en scène pour lui apporter ce qui lui manque, une certain esprit de finesse sous le glacis grotesque. Retenons le couple Fiorella et Fragoletto où Marie Perbost et Antoinette Dennefeld visiblement jubilent avec cette partition à laquelle elles donnent elles aussi par leurs chants et leurs jeux accordés autre chose qu’une simple caricature. Le reste de la distribution ne démérite pas, dirigée avec rondeur, précision maniaque et allant par Stefano Montanari qui imprime un rythme soutenu à cette partition endiablée veillant à ce que jamais la tension ne retombe. Et encore une fois le chœur de l’Opéra national de Paris dirigé par Ching-Lien Wu fait montre de sa maîtrise. Pour résumer, reprenons une phrase du livret, « On ne s’attendait pas à ça ! ». Certes, mais pour qui connaît Barrie Kosky, il faut parfois s’attendre à tout. Pour Offenbach, pour qui s’en empare, c’est une toute autre histoire…

 

© Agathe Poupeney

 

Les brigands, opéra-bouffe de Jacques Offenbach

Livret de Meilhac et Halévy

Nouveau dialogue : Antonio Cuenca Ruiz

Monologue du caissier écrit par : Sandrine Sarroche

Direction musicale : Stefano Montanari*

Mise en scène : Barrie Kosky

Décors : Rufus Didwiszus

Costumes : Victoria Behr*

Lumières : Ulrich Eh*

Chorégraphie : Otto Pichler

Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz

Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu

Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris

 

Avec : Marcel Beekman*, Marie Perbost*, Antoinette Dennefeld, Yann Beuron, Laurent Naouri, Mathias Vidal, Sandrine Sarroche*, Philippe Talbot, Adriana Bignagni Lesca, Flore Royer*, Luis-Felipe Sousa, Leonardo Cortellazzi, Eric Huchet, Franck Leguérinel, Rodolphe Briand, Ilanah lobel Torres, Clara Guillon*, Maria Warenberg*, Marine Chagnon, Doris Lamprecht, Hélène Schneiderman, Manon Barthélémy, Rachella Kingswijk, Cécile Lheureux*, Corinne Martin*, Victorien Bonnet, Nicolas Jean-Brianchon, Jules Robin*, Hédi Tarkani

Danseurs, danseuses : Guillemette Buffet, Tidgy Chateau, Maïté Dugenetay*, Loïc Faquet*, Léa Gibeert*, Anna Konopska, Anne-Sophie Loustalot, Prince Mihai*, Chloé Moynet, Maxime Pannetrat, Antoine Salle, Noa Gabriel Siluvangi*

*Début à l’Opéra national de Paris

 

Jusqu’au 12 Juillet 2024

 

Palais Garnier

Place de l’Opéra

75009 Paris

 

Réservations : www.operadeparis.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed