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Madame Butterfly, de Giacomo Puccini, mise en scène de Robert Wilson, Opéra national de Paris (Bastille)

Sep 23, 2024 | Commentaires fermés sur Madame Butterfly, de Giacomo Puccini, mise en scène de Robert Wilson, Opéra national de Paris (Bastille)

 

© Chloé Bellemère-OnP
 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Il n’y a sans doute pas une meilleure œuvre pour accueillir l’esthétique de Robert Wilson que Madame Butterfly de Puccini, dont il a créé la mise en scène en 1993. Elle est reprise à l’Opéra Bastille et en était déjà, le soir de la première, à sa 111ème représentation sur les 1280 toutes mises en scène confondues. Et force est de constater qu’elle n’a pas pris une ride ou plutôt qu’elle est incontestablement devenue mythique, intemporelle, même si on avoue avoir cette fois ressenti peu d’émotion(s) ou de vibrations. C’est le principal reproche que l’on fera à cette reprise qui ne peut faire objectivement l’objet d’aucun reproche technique ; même si on avait pu les craindre ce soir de première après quelques temps d’attente et les excuses présentées au public par Alexander Neef. Les raisons du retard du lever de rideau sont restées inconnues, la représentation s’étant déroulée parfaitement.

La direction de Speranza Scappucci est enlevée, même si la partition de Puccini révèle des tensions subtiles récurrentes dans une juxtaposition de couleurs orientales et occidentales (reprenant même plusieurs fois quelques notes de ce qui n’était pas encore l’hymne américain). Les Chœurs sont brillants comme toujours. Dans les rôles titres, la soprano Eleonora Buratto dont c’était la première venue à l’Opéra de Paris, mais qui a déjà chanté le rôle de Cio-Cio San, développe ses aigus de manière irréprochable, notamment dans le fameux air « Un bel di, vedremo ». On ressent toutefois difficilement la candeur et la fraîcheur propre à ce rôle, même si le duo est touchant avec Pinkerton, en dépit de la raideur de Stefan Pop qui est à l’opposé de sa rondeur vocale. Un pseudo couple à la différence d’âge odieuse qui est le symbole de la vertu aveugle face au mensonge et au vice. Le profit et la domination versus la générosité et l’amour inconditionnel. L’intolérable histoire, tirée d’un roman de Pierre Loti (Madame Chrysanthème) d’abord adaptée au théâtre, d’un mariage arrangé à Nagasaki pour quelques heures entre une jeune geisha à peine pubère et un yankee vigoureux, bon à briser les ailes d’un fragile papillon oriental illusionné par la lumière occidentale et masculine, avant de se supprimer. L’on comprend que cet opéra suscita le scandale à sa création à la Scala en 1904.

Parmi les autres rôles, Aude Extremo est bouleversante, presque trop chaleureuse pour ce rôle de servante qui par définition ne doit pas faire d’ombre à Mme Butterfly. Elle impose ses graves tragiques et domine tout simplement dans le duo des fleurs. Christopher Maltman est un Sharpless impeccable, hautain comme il sied à sa fonction de diplomate, tout en laissant passer la compassion dictée par le livret ; Sofia Anisimova est une belle Kate Pinkerton en dépit de son rôle extrêmement limité ; Carlo Bosi toujours aussi agréable à écouter, semble presque s’amuser dans ce rôle de Goro, donnant l’impression de s’affranchir un peu de la froideur de la gestuelle imposée en accord avec la mise en scène et la scénographie épurées, comme un soupçon de fluidité venant réchauffer les tons froids pour l’essentiel, monochromes aussi beaux que glaçants, dans les lumières si importantes pour le metteur en scène et qui ont été retravaillées pour cette reprise.

A noter enfin le bel enfant aux doigts graciles qui est finalement le seul à apporter un peu d’humanité dans ces tableaux hypnotisants pour les uns, incompréhensibles pour d’autres. Cela pousse à se poser la question du sens perçu aujourd’hui par un public non averti ou plus jeune. On a pu s’agacer pendant la soirée des rires à peine étouffés et du bavardage d’un couple proche en orchestre, pour ensuite se demander si ce langage chorégraphique et scénographique hiératiques, que le metteur en scène britannique a tant travaillé et poussé à l’extrême, dit toujours quelque chose d’universel. Tout comme Puccini avait mené des recherches très approfondies dans la connaissance des rythmes et compositions japonaises, Robert Wilson a passé lui aussi beaucoup de temps à parfaire sa connaissance du Nô qui est son inspiration première dans cette mise en scène de Madame Butterfly, tout comme dans ses reproductions ultérieures. S’opposant ici encore plus que pour toute autre œuvre à un folklore japonisant commode, il fait peser sur les interprètes le défi extrêmement lourd de l’incarnation de personnages hautement tragiques, en leur demandant d’être physiquement presque désincarnés et dans une rupture de rythme avec la musique vériste. C’est un équilibre extrêmement délicat à atteindre et qui demande certainement une approche très patiente, dans un travail au temps long qui n’est certainement plus possible de nos jours, avec des interprètes qui changent en cours de représentation.

Il serait donc intéressant d’aller revoir cette Madame Butterfly dans la distribution de mi-octobre avec Elena Stikhina dans le rôle-titre.

 

© Chloé Bellemère-OnP

 

Madame Butterfly, de Giacomo Puccini

Livret : Giuseppe Giacosa, Luigi Illica

Direction musicale : Speranza Scappucci

Mise en scène, décors et lumières : Robert Wilson

Co-mise en scène : Giuseppe Frigeni

Collaboration à la mise en scène : Marina Frigeni

Chef des chœurs : Alessandro di Stefano

Costumes : Frida Parmeggiani

Lumières en collaboration : Heinrich Brunke

Reprise des lumières : A.J. Weissbard

Chorégraphie : Suzushi Hanayagi

Dramaturgie : Holm Keller

Avec : Eleonora Buratto (en alternance avec Elena Stikhina), Stefan Pop, Aude Extrémo, Christopher Maltman, Carlo Bosi, Vartan Gabrielian, Sofia Anisimova, Andres Cascante, Bernard Arrieta, Marianne Chandelier, Liliana Faraon, Stéphanie Loris, Hyunsik Zee, Young Woo Kim.

Et l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra national de Paris

 

Durée : 2h45 (avec un entracte)

Jusqu’au 25 octobre 2024, à 19h30 (les dimanches à 14h30)  

 

Opéra national de Paris (Bastille)

Place de la Bastille

75012 Paris

www.operadeparis.fr

 

 

 

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