Critiques // « L’Opérette Imaginaire » de et mise en scène Valère Novarina à l’Odéon

« L’Opérette Imaginaire » de et mise en scène Valère Novarina à l’Odéon

Nov 12, 2010 | Aucun commentaire sur « L’Opérette Imaginaire » de et mise en scène Valère Novarina à l’Odéon

Critique de Pauline Decobert

Voyage au bout du langage

Valère Novarina nous offre au théâtre de l’Odéon une traduction hongroise de L’Opérette imaginaire, écrite initialement en français. Le chant, la danse, la parole sont ici le moteur fou d’un spectacle qui n’est plus de l’ordre du compréhensible mais qui fait appel à une sensibilité extatique, électrique, hystérique. Malgré le sur-titrage français, la langue emmêlée, distordue, déchirée, recousue puis détruite encore, nous emmène jusqu’à la sensuelle saveur du non-sens. Des acteurs extraordinaires nous offrent une déferlante d’énergie ; de l’humour le plus grossier à la poésie musicale, on ne peut ressortir de ce spectacle qu’avec une boule dans la gorge et la joie au cœur des tripes…

© Màthé Andràs

Comment raconter ce qui ne se saisit que par bribes ? Il y a neuf excellents acteurs sur scène mais tant de personnages… On devine un couple dans une petite baraque, un bébé épinglé au mur. Un mort traverse la scène sur un chariot d’hôpital, et ressuscite en chantant des grivoiseries argotiques jusqu’à ce qu’on le retue. Un mariage se profile… etc. Mais pourquoi vouloir déchiffrer l’incompréhensible ? La beauté de ce spectacle est dans sa puissance rythmée, qui nous fait vivre un temps fugace complètement différent de celui que l’on coupe habituellement en tranches. Il n’y a plus de mesure que le rythme. Le rythme des pas, des paroles, des changements de lumières, de cette peinture mouvante de Valère Novarina.

Performance de l’imaginaire imagé

Cette pièce parait absolument comme hors de portée de la critique. On l’aura compris, Novarina réinvente le langage à chaque mot. Il ne réinvente pas un langage mais une foule de langages. Il y a ceux des mots, et de la parole donnée. Il y a ceux des êtres, de leurs corps signifiants à l’extrême. On comprend tout de suite qu’on ne comprendra rien, ou si peu, et ce dès l’ouverture. C’est pourtant là que la surprise nous rattrape : cette langue hongroise, au lieu d’être une barrière supplémentaire à franchir pour la compréhension, nous transmet tout. On saisit tout ce qu’offrent les acteurs, pas un moment d’ennui ne vient casser le rythme effréné du spectacle. Il y a du Tex Avery là-dedans… Alors que le dessin-animé est un genre connu comme ce qui ne pose pas de limite à l’imagination (tout est permis), Novarina nous montre que ce peut être aussi le cas du théâtre.

© Màthé Andràs

On est face à un théâtre imaginé de toute pièce. De l’argot. De la poésie. Du néo-langage. Ces acteurs peuvent tout faire, ils se transforment sans cesse, toujours nouveaux, leurs corps n’est plus le frein de leur performance éblouissante mais ce qui permet son propre dépassement (comme le stylo de l’écrivain, l’outil de l’artiste). Ils ont tous des voix exceptionnelles, ils savent passer du plus profond comique à un chant d’opéra au volume suave et immense (digne de chanteurs d’opéra). L’un d’entre eux nous offre une performance pendant laquelle il change de personnage à des intervalles de plus en plus cours, et ce pendant une bonne partie de la pièce, jusqu’à en changer toutes les secondes. Non seulement ça marche, mais surtout sans aucun changement de costume. Ce genre de prouesse nous fait nécessairement penser à certaines trouvailles musicales (comme le Boléro de Ravel par exemple), mais aussi aux Marx Brothers, ou à la SF des 70s à l’humour en carton pâte. La mise en scène reste assez simple pour permettre de fournir un espace expérimental, où les acteurs sautent, courent, se battent, rebondissent, et dégringolent comme des balles lancées à toute blinde. La scène nous est offerte à voir comme le terrain de jeu de souris de laboratoire, ou comme la scène d’un cirque. Tout ça, c’est un peu la même chose : tout un monde sensible devant nous.

L’Opérette Imaginaire
– Hongrois surtitré –
De et mise en scène : Valère Novarina (Ed. P.O.L, 1998)
Collaboration artistique : Adélaïde Pralon
Avec : József Jámbor, Árpád Kóti, Attila Kristán, Tibor Mészáros, Anna Ráckevei, Nelli Szûcs, Kinga Újhelyi, József Varga, Artúr Vranyecz
Traduction : Zsófia Rideg
Scénographie : Philippe Marioge
Peintures : Valère Novarina
Costumes : Borbála Kiss
Musique : Christian Paccoud
Adaptation musicale : Cecília Szentai
Lumières : Paul Beaureilles
Chorégraphie : Péter Gemza
Musiciens : László Csonka, Lajos Pál, Anna Tálas

Du 9 au 13 novembre 2010

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon, 75 006 Paris
www.theatre-odeon.fr

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