À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // LWA, conception et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade, au Théâtre Paris-Villette

LWA, conception et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade, au Théâtre Paris-Villette

Nov 21, 2022 | Commentaires fermés sur LWA, conception et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade, au Théâtre Paris-Villette

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒ article de Denis Sanglard

Liberté, égalité, fraternité. Vraiment ? s’interrogent Camille Bernon et Simon Bourgade devant la persistance tenace des racismes aujourd’hui. Les enfants de la République, issus de la diversité, sont toujours confrontés au dénis de notre mémoire nationale, otages d’une politique devenu sécuritaire en réponse à leur désarroi et justes doléances. Remonter aux sources du racisme et de sa violence endémique, c’est mettre à nu les traumatismes persistants, notre héritage au final commun, que l’esclavage et le colonialisme ont engendrés et qui perdurent de façon plus ou moins consciente. A partir de différents matériaux historiques et factuels, bornés de récits fictionnels, Camille Bernon et Simon Bourgade dépiautent notre roman national devenu réactionnaire, et donc de son amnésie volontaire, pour en extraire la violence intrinsèque, d’une actualité brûlante.

Premier acte, liberté, où la révolte des esclaves. Le récit du « nègre marron » François Makandal, brûlé vif en 1758 pour s’être révolté, avoir combattu le pouvoir colonial de Saint-Domingue. Sa mémoire préside à la nuit du 22 août 1791, où de Bois-Caïman, à Saint-Domingue, le prêtre vaudou Boukman lance l’insurrection, les propriétaires de cinq plantations, femmes et enfants, sont massacrés par leurs esclaves. C’est le début d’une guerre qui aboutira à l’indépendance le 1er janvier 1804 de ce qui deviendra Haïti. « Tout homme naît libre et égaux en droit », préambule de la constitution de 1789. Sauf pour Saint-Domingue justement et ses esclaves où les colons avec l’appui du gouvernement s’opposèrent à cette déclaration. Camille Bernon et Simon Bourgade exhument les minutes des discussions et débats de l’assemblée où s’opposent violemment l’humanisme issue des lumières et l’économie. Un esclave, son commerce et son exploitation sont plus lucratif qu’un homme libre… Le soulèvement semblait donc la seule solution naturelle pour être libre.

Deuxième acte, Egalité. 1954/1962,  la guerre d’Algérie ou ce qu’on appelait alors les évènements, comme pour nier sa réalité. Est convoquée là, la figure de l’écrivain anticolonialiste Frantz Fanon qui le premier a théorisé les traumatismes, héritages fantômes, hérités de la colonisation d’autrefois. Et ses répercutions tant psychologiques, émotionnelles que physiques à l’aune de cette guerre sanglante pour l’indépendance de l’Algérie. Même libre le colonisé garde en lui ses traces factuels et l’égalité devant les anciens colonisateurs sera toujours boiteuse. Camille Bernon et Simon Bourgade reconstituent les entretiens de Frantz fanon, alors psychiatre, avec les bourreaux auxquels répondent en échos les témoignages glaçant de leurs victimes. Deux antagonismes irréconciliables. Pour comprendre ce qui se dit sur le plateau, citons Franz Fanon lui-même. « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence ».

Troisième acte, fraternité. Le 27 octobre 2005, deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, cherchant à échapper à un contrôle de police, meurent électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique. Clichy-sous-Bois s’enflamme, suivit de Montfermeil, bientôt de l’ensemble de la Seine-Saint-Denis avant de s’étendre un peu partout en France. Le 8 novembre l’état d’urgence est décrété pour trois mois. C’est le minutage précis de ces évènements, la retranscription des échanges des policiers entre eux, qui menèrent au drame et après, qui nous est donné d’entendre. Edifiant ! Auquel ils ajoutent un extrait bouleversant de Delta Charlie Delta de Michel Simonot, pièces sur ces évènements et qui ici donnent la parole au troisième adolescent, survivant mais gravement brûlé. Surtout, à la réponse citoyenne devant ce déchaînement, aux doléances initiées par le collectif ACLEFEU, exprimant là un mal-être, un désarroi, une frustration devant leurs conditions et l’abandon des pouvoirs publics, proposant même des solutions, que nous entendons ici, répond un discours de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur purement politique, démagogique et réactionnaire, rendant hommage aux policiers et sourd à toute évidence, ne voyant dans ces émeutes que de la délinquance de racailles et un problème de responsabilité parentale (sic). Et la fraternité républicaine prônée en prend un sacré coup dans l’aile. Derechef nous revient en mémoire et comme un boomerang Frantz Fanon qui avait anticipé cette violence à venir.

Camille Bernon et Simon Bourgade font œuvre et devoir de mémoire pour comprendre la violence systémique du racisme de notre présent, cet « abcès qui pèsent sur les cerveaux de notre génération et gangrène notre imaginaire ». Un théâtre-citoyen habilement cousu, documenté, et le fil ténu qui relie les trois parties entre-elles est solide et tient aussi par son traitement dynamique. C’est pertinent, drôle parfois, brut de coffre. Il faut dire que les jeunes comédiens s’emparent de ce matériaux avec une énergie et une conviction sans faille. Tous, issus de la diversité, semblent y trouver ici leur histoire et leur héritage tant individuel que collectif. Un traitement choral qui se fiche bien du genre où chacun prend sa part avec une intelligence mordante, une sensibilité et une causticité certaine parfois. Il y a comme une urgence citoyenne, oui, un engagement assumé qui dépasse la théâtralité même et qui se ressent jusque dans la salle. Certes, nous aurions aimé un point de vue, voire un contrepoint, plus critique et polémique que cette juxtaposition d’évènements étayant cette création. Même si le choix de ceux-ci, admettons-le, en est une en soi, rien n’édulcore cependant sa pertinence. Cependant ils affirment nettement et avec subtilité cette assertion de Frantz Fanon : « Le racisme n’est pas un tout, mais l’élément le plus visible, le plus quotidien, pour tout dire, à certains moments, le plus grossier d’une structure donnée. »

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

 

LWA conception et mise en scène de Camille Bernon et Simon Bourgade

D’après les récits d’esclaves, les écrits de Frantz Fanons, de Michel Simonot, et les cahiers de doléances recueillies par le collectif ACELEFEU

Collaboration artistique et jeu : Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi Chassin, Benedicte Mbemba, Souleymane Sylla, Jackee Toto

Scénographie : Benjamin Gabrié

Son : Vassili Bertrand / Quentin Hilaire (en alternance)

Lumière : Coralie Pacreau

Vidéo : José Guerrack

Costumes : Gwladys Duthil

Stagiaire mise en scène : Héloïse Janjaud

 

Du 17 novembre au 3 décembre 2022 à 20 h

Le vendredi à 19 h, le dimanche à 15 h 30

Relâche le lundi

 

Théâtre Paris-Villette

211 avenue Jean-Jaurès

75019 Paris

 

Réservations : 01 40 03 72 23

www.theatre-paris-villette.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed