© Manuelle Toussaint
ƒƒ article de Denis Sanglard
Quand un Normand pur-beurre, né à Flers, ayant vécu son enfance à Saint-Georges-des-Groseillers, décide de se pencher sur le répertoire breton, on se dit qu’il y a Kikafarce sous roche. A se demander même si le traître, si traître il y a, ne va pas concéder à ces mêmes bretons le titre de propriétaire du Mont-Saint-Michel dont Dieu en sa folie mit au-delà du Couesnon, en Normandie. Ce préambule écrit, concédons à François Morel la sauvegarde d’un patrimoine, trouvé dit-il tout mité dans un vide-greniers de Saint-Lunaire (Ille-et-Vilaine). Soit les œuvres d’Yves Marie Le Guilvinec, douze chansons illustrées par l’auteur dont une inestimable cancalaise – nous y reviendrons -, sombrées dans l’oubli comme son auteur, disparu en mer à trente-ans, en 1900. Yves Marie Le Guilvinec natif de Trivagou, près de Saint-Malo. Or donc François Morel, aidé de ses complices Gérard Mordillat et Antoine Sahler, dont on connaît l’âme généreuse, la curiosité littéraire et la passion pour la poésie populaire, a décidé de prêter sa voix à cet illustre inconnu, pêcheur de morue qui ne supportait pas l’eau. Destin tragique pour un marin breton, englouti par les flots. Il ne manque rien à ce répertoire que jalousait Théodore Botrel, l’homme de La Paimpolaise, plagiat éhonté de La Cancalaise, nous y voilà, et dont le pauvre Théodore n’avait foutre rien compris de la salacité. Paimpoler renvoyant à gamahucher, apprend-on ici. Car ce tour de chant sentant bon les embruns et le varech, avec une pointe de gros sel, est aussi une conférence érudite et fort bien illustrée où l’on apprend beaucoup de ce poète dont çà et là subsistent quelques traces, comme ces quatrains inoubliables et oubliés à la gloire des produits Félix Potin. Ou ces lettres d’un fils à sa mère, laquelle aurait mieux vu ce rejeton fonctionnaire au P.T.T, rien que pour la retraite à 55 ans. Un répertoire de terroir d’une grande richesse où il ne manque pas une fille perdue, disparue ou morte en couche, pas un moussaillon un peu con, pas un Fanche de Pontivy, pas un caboulot au nom de L’Espérance, pas un ivrogne, pas une Bretonne le regard rivé sur l’horizon, sauf peut-être la petite Edith. On y croise même, ça va de soi, morues, flétans et plus étrange, baleine. Et déjà des préoccupations écologiques, l’inquiétude quand il ne restera plus rien que du sel, l’océan vidé de ses poissons. Et si l’on s’étonne un peu de d’entendre dans ce répertoire si riche du folklore breton d’un autre temps le nom de Marie-Pierre Planchon, celle qui fait la pluie et le beau temps sur la radio publique, c’est que celle sus-citée, est-il précisé, fut une fameuse druidesse du XVIIème siècle. (Nous n’avons pas vérifié cette assertion, les sources étant incomplètes). François Morel s’essaye bien aussi un peu à la gavotte, et là, il y a de quoi effrayer même un Korrigan devant cette danse de Saint-Guy échevelée. Sur cette évocation de chalutier tanguant comme un jour de Fest-Noz, où trois musiciens de balloche accompagnent avec talent François Morel, c’est toute la Bretagne côtière en coiffe et sabots qui chantent. Héritier pour l’heure de l’excentrique Pierre Loti jusqu’à Pierre Jacquez Hélias, des sœurs Goadec à Alan Stivell, François Morel y met tout son cœur, plus breton que breton. Quand à savoir si Yves Marie Le Guilvinec a existé, si François Morel ne nous mène pas en bateau, lui qui avoue ne pas avoir le pied marin, on finit par s’en moquer fichtrement, embarqués fissa et tout sourire que nous sommes dans cette vie minuscule d’un grand poète régional sorti de l’oubli et de l’anonymat, repêché par le fantaisiste François Morel qui en fait là, à sa manière, une véritable épopée.
© Manuelle Toussaint
Tous les marins sont des chanteurs de François Morel, Gérard Mordillat, et Antoine Sahler
Avec François Morel, Gérard Mordillat (24 et 31 mai, 21 juin, 2 juillet), ou Romain Lemire, Antoine Sahler, Amos Mah, Muriel Gastebois
Chansons : Yves Marie Le Guilvinec
Adaptée et arrangée par François Morel, Gérard Mordillat et Antoine Sahler
Musique : Antoine Sahler
Décor : Edouard Laug
Lumière : Alain Paradis
Son : Yannick Cayuela
Vidéo : Camille Urvoy
Costumes : Elisa Ingrassia
Direction Technique : Denis Melchers
Réalisation du décors : Les ateliers Jipanco et Cie
Du 17 au 3 juillet 2022
17-29 mai à 18 30 / 31 mai-2 juillet à 21 h
Dimanche à 15 h / dimanche 22 et 29 mai à 18 h 30
Relâche les lundis, le 26 mai, le 5 et le 12 juin 2022
Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservation 01 44 95 98 21
www.theatreduronpoint.fr
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