© Nelly Maurel
ƒƒƒ article de Hoël Le Corre
Il est des spectacles qu’il faut voir plutôt que de les raconter. Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux est de ceux-ci. Car même si les mots y sont omniprésents, ces derniers ne suffisent pas tout à fait à rendre ni le relief du texte ni la saveur de la mise en scène, tant ce spectacle est original.
Efforçons-nous pourtant d’essayer, puisque c’est le jeu ici… Peut-on tout dire et doit-on tout dire ? Que disons-nous quand on parle ? Et peut-être encore plus, que cachons-nous ? Que révélons-nous, malgré nous ? Au-delà des questionnements qui nous rappelleront immanquablement nos dissertations de philosophie, les deux interprètes de Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux se livrent à une exploration ludique et polymorphe du langage.
La loquace Capucine Baroni et la taciturne Théodora Marcadé, qui n’a de taciturne que l’image qu’elle se forge d’elle dans la vie, car à la scène, elle nous emporte, rayonne et rebondi sans cesse, se sont trouvées pour former un duo hilarant et intelligent, sorte de Laurel et Hardy au féminin. Pas tout à fait clown, elles partent toutefois de la même peur du vide, de la même nécessité de combler un espace avec leurs voix, leurs corps et posent un regard sur elle-mêmes et sur la société humaine, si bavarde, aussi acidulé que tendre. Face à la langue de bois, la parole de chair. Car oui, le corps est ici aussi engagé que la voix et on retient des images autant que des phrases.
L’homme est un animal parlant, et qui parfois aime à s’écouter parler, joue avec les mots, ou est trahi par cette langue qu’on nous apprend à maîtriser dès le plus jeune âge. Dans un rythme effréné mais jamais nerveux ni fatiguant, Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux décortique toutes les fonctions du langage. Sans didactisme mais avec drôlerie et précision, les comédiennes dressent un véritable tableau sociologique, psychologique et intime du rapport à la parole. Et ce sont tous les enjeux de la maîtrise des mots qui nous sautent aux yeux : quelle place pour celui qui « sait dire » et donc quelle place pour celui qui ne sait pas ?
En somme, c’est tout un kaléidoscope qui se déploie devant nous, tissé de références réelles à des discours, des auteurs, des évènements, tressé de voix et de personnages diverses. Qu’importe d’ailleurs en réalité, que l’on ait toutes ces références ou pas, car l’interprétation de Capucine et Théodora est savoureuse au-delà des citations. Chaque morceau de ce patchwork est croustillant, et grâce à un travail sur la fluidité des enchaînements, le tout est à déguster en une seule bouché ! Bravo !
© Nelly Maurel
Arrête, je vois la parole qui circule dans tes yeux, création collective mise en scène par Claire Lapeyre Mazérat
Texte Capucine Baroni, Théodora Marcadé, Claire Lapeyre Mazérat
Jeu : Capucine Baroni, Théodora Marcadé
Lumières : Manuel Desfeux
Décors : Arnaud Lazérat
Costumes : Arnaud Lazérat
Son : Thomas Aguettaz
Durée : 1 heure
Du 27 février au 22 mars 2022
Dimanche, lundi, mardi à 21 h 15
Théâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris
Réservations : 01 42 36 00 50
www.lesdechargeurs.fr
comment closed