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Le Malade imaginaire, de Molière, mis en scène par Claude Stratz, Comédie-Française

Fév 26, 2022 | Commentaires fermés sur Le Malade imaginaire, de Molière, mis en scène par Claude Stratz, Comédie-Française

 

 

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Le Malade imaginaire est comme on le sait un testament. Celui d’un dramaturge génialissime, dont on fête cette année, comme cela n’aura échappé à personne, les 400 ans de sa naissance, qui hanté par la maladie, écrit sa dernière pièce et notamment des répliques prémonitoires : dans la scène où Toinette propose à son maître, Argan, de faire le mort pour y voir clair dans les intentions des membres de sa famille (« N’y-a-t-il pas quelque danger à contrefaire le mort ? ») et dans celle où déguisée en faux médecin elle lui diagnostique un problème au poumon (l’affection broncho-pulmonaire qui revient dans plusieurs de ses pièces sous le terme de « fluxion » est à l’origine de l’hémorragie qui lui coûta la vie, de retour chez lui de sa quatrième représentation du Malade imaginaire le 17 février 1673).

Le Malade imaginaire est en quelque sorte aussi le testament d’un metteur en scène non moins talentueux, non pas parce qu’il s’agit de sa dernière mise en scène (il en assura trois autres jusqu’à son décès en 2007), mais parce que c’est celle qui connaît la plus grande intemporalité et longévité. Claude Stratz qui a créé en 2001 son Malade imaginaire, repris sans interruption depuis sa création en 2001 par des comédiens différents dans le rôle-titre et par des comédiens identiques pour d’autres rôles (celui de Béralde a par exemple toujours été joué par Alain Lenglet, celui de Toinette majoritairement par Julie Sicard, qui a néanmoins commencé par celui d’Angélique en 2001). Il s’agit donc d’une mise en scène que l’on peut qualifier historique qui a pris le relais de toutes celles qui se sont succédées depuis 1680 et totalisent jusqu’à la présente saison 2600 représentations (dont 500 pour la présente mise en scène).

Pour ceux qui n’ont jamais vu la mise en scène de Stratz, elle doit certainement sembler nouvelle, pour ceux qui l’ont déjà vue, elle n’a pas pris une ride. Les décors sont sobres, mais la scénographie et la mise en scène riches, notamment dans ses parties musicales. Car Claude Stratz avait voulu mettre en valeur la version d’origine du Malade imaginaire (sur la partition de Charpentier en raison de sa brouille avec Lully), comédie-ballet dont on lit fréquemment et un peu abusivement qu’elle serait la première comédie musicale. D’ailleurs, une version très festive et colorée à l’extrême vient d’être créée à Massy par Le Concert spirituel (tournée à Nantes, Angers, Tourcoing, Avignon avec une captation en ligne sur France.tv). La vision de Claude Stratz est plus délicate, plus sombre aussi l’air de rien. Il est répété depuis la note d’intention du metteur en scène de 2001 et lors de chaque reprise qu’il s’agit d’une vision « crépusculaire ». Ce n’est pas faux, même si on ne doit pas la réduire à cette dimension, ce qui induirait en erreur par rapport à la dynamique de cette production, notamment depuis la prise de rôle par Guillaume Gallienne qui donne à la part comique de la pièce une ampleur maximum. Et cela fonctionne. La salle Richelieu rit à gorge déployée. La présente chroniqueuse ne se souvient pas avoir entendu rire autant dans une salle de théâtre depuis longtemps. L’effet cumulé de la situation internationale (Covid + Ukraine ose-t-on écrire) et l’excellence de cette reprise…

Prévue en 2020, elle a finalement été reportée en février 2022 en raison de la crise du Covid, avec Guillaume Gallienne qui se revêt de la tunique de malade et de ses couches qu’il agite avec ravissement. Il est un Argan truculent, emballant, réjouissant, on aurait même envie d’écrire solaire (si le terme n’était pas si galvaudé) par rapport à certains de ses excellents prédécesseurs (notamment le très juste mais sombre Alain Pralon et probablement aussi son premier créateur en la personne de Molière lui-même). Il redonne une humanité à ce père tyrannique, avare et hypocondriaque, prêt à vendre sa fille au plus vil, dégoûtant des maris pour avoir un médecin à son service familial.

A ses côtés, Julie Sicard reste une Toinette idéale, vive, insolente, rusée, empathique, généreuse et féministe ; Coralie Zahonero est une Béline, hautaine, glaçante de perversité et méchanceté ; on ne connaît pas de meilleur père Diafoirus que Christian Hecq, aussi venimeux qu’écœurant ; Elissa Alloula et Yoann Gasiorowski sont conformes à ce que l’on attend du romantisme léger du jeune couple Angélique – Cléante, même si personne n’égalera le vibrant Eric Ruf dans le rôle masculin, tout comme il est difficile de surpasser l’extraordinaire Alexandre Pavloff dans celui du fils Diafoirus, même si Clément Bresson est un Thomas irréprochable de crétinerie et vice. Enfin, il faut signaler la talentueuse Louison, dont la voix de frêle jeune fille n’avait peut-être pas le volume suffisant pour être continument audible d’une partie du public, mais dont le jeu n’a rien à envier à ses ainé(e)s (notamment le récit de l’état de pâmoison de sa sœur).

La scène de clôture qui est à mi-chemin entre un rituel satanique et une procession carnavalesque, acmé du fil rouge de la pièce (sur le faux, le vrai et le vrai-faux) se termine en apothéose et presque immédiatement sous les applaudissements des spectateurs qui une fois sur la place Colette apprécient étrangement en ce temps de crise et d’incertitude sanitaires les doutes de Molière.

 

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

 

 

Le Malade imaginaire, de Molière

Mise en scène Claude Stratz

Assistanat à la mise en scène Marie-Pierre Héritier

Scénographie et costumes Ezio Toffolutti

Assistanat à la scénographie Angélique Pfeiffer

Lumières Jean-Philippe Roy

Musique originale Marc-Olivier Dupin

Travail chorégraphique Sophie Mayer

Maquillages, perruques et prothèses Kuno Schlegelmilch

Assistanat aux maquillages et aux prothèses Laurent Aué et Elisabeth Doucet

 

Avec : Alain Lenglet, Coralie Zahonero (en alternance avec Marina Hands), Guillaume Gallienne, Julie Sicard, Christian Hecq, Yoann Gasiorowski, Elissa Alloula, Clément Bresson, Mathilde Clément (en alternance avec Elisa Cronopol et Alice Javary)

Et les chanteurs et claveciniste

 

 

Durée 2 h 15

Jusqu’au 3 avril 2022

A 20 h 30

 

 

Comédie-Française

Salle Richelieu

1 Place Colette, 75001 Paris

www.comedie-française.fr

 

 

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