Critique de Dashiell Donello –

Julie Deliquet met en scène Derniers remords avant l’oubli de Jean-luc Lagarce (1957-1995), dans l’illusion de la sincérité et du direct spontané.

C’est un dimanche. Pierre habite une maison à la campagne. Il l’a achetée dans les années 60 avec Paul et Hélène, un trio amoureux et libéré. Mais, avec le temps tout s’en va. Paul et Hélène sont partis chacun de leur côté en laissant les clefs de la résidence « secondaire » à Pierre. Hélène et Paul se sont mariés séparément, ailleurs. Ils reviennent, avec leurs conjoints et Lise qui n’est plus une fillette, un peu gênés par cette nouvelle situation familiale, pour négocier la vente de la maison qui entre temps a pris de la valeur. Ils sont apparemment dans une situation financière difficile. Mais pour que cela se réalise, il faudrait que les trois propriétaires soient d’accord. Si Paul ne semble pas vouloir faire d’objection, Hélène est convaincue que Pierre s’y opposera farouchement.

© Mathilde Morières

« Ils ont un peu tout fait : ils sont assez représentatifs, famille de la bourgeoisie naissante provinciale et commerçante. Poitiers, Dijon, Rouen, le triangle terrible, études larvaires, revendications diverses postadolescentes, montée vers la capitale, tentatives artistiques, littérature allemande et cinéma quart-monde, revendications multiples préadultes, fuite de la capitale, descente, l’air pur, la « vraie vie », alternatives artisanales, mauve et rose tyrien, le bonheur, le paradis, cette maison-ci, puis éclatement encore, chacun pour soi »,Voilà comment Lise décrit cette famille recomposée.

Comment dire les mots ?

Dès les premières répliques le texte met le spectateur dans une situation gênante, en dépersonnalisant la réalité par des phrases rituelles qui trahissent d’entrée de jeu un malaise général :
PIERRE : Je suis content. Tu vas bien ? Vous allez bien ? Est-ce que vous allez bien ?
HÉLÈNE : C’est Antoine, lui là, Antoine. Il est mon mari.
PAUL : C’est Anne. C’est Pierre.

© Mathilde Morières

Derniers remords avant l’oubli est une pièce sur le non-dit, sur ce qui n’a pas été clarifié, sur le secret de famille, (qui sont les pères des deux filles ?) Pour extirper le mal à la racine, il faut rompre avec ce silence qui n’a que trop duré. Mais les mots blessent, il faut rattraper les maladresses qui succèdent à d’autres maladresses. Comment dire, comment trouver les mots justes ? Malgré leur détermination à vouloir bien faire cela sonne faux et dénonce l’impossible discours : d’exprimer, ce que l’on voudrait dire, ce que l’on doit nécessairement dire, tout en se gardant de ne rien dire, car cela serait trop risqué somme toute. Alors on improvise un repas, on fait comme si. On passe du monologue au silence.  Du vin rouge aux feuilles de comptes.

La mise en scène ou le symptôme d’un projet conventionnel

Quand une mise en scène veut prendre le pouvoir, il en résulte plus d’une opération militaire que d’un projet artistique. A trop chercher à être original, on ne retrouve que la convention. C’est aussi faire du théâtre sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir que de dire : Très peu de décors, très peu de costumes : retour à un théâtre de mise à nu avec une représentation entièrement dictée par ses interprètes. Jerzy Grotowski, dans les années 60, avait appelé cela : Vers un théâtre pauvre.

Quant à « l’impératif » de la sincérité, il rate malheureusement son objectif, car c’est un jeu excessif et affecté qui vient en lieu et place, sauf pour Agnès Ramy qui a construit un personnage dans la sincérité et la simplicité de jeu.  Julie Deliquet nous dit vouloir désacraliser Lagarce,  ne plus le considérer comme sacré. Ce qui suppose qu’il a été à ses yeux. A l’évidence, on n’a pas vu cette désacralisation. D’ailleurs est-ce important pour aider à la compréhension de la pièce ? Un peu d’humilité aurait suffit à nous faire voir et entendre la résonance affective et bouleversante de cette œuvre. Car malgré tout cette troupe a du potentiel. On aimerait la revoir plus modérée dans ses certitudes.

Heureusement la pièce de Jean-Luc Lagarce est au-dessus de toutes les affabulations de mise en scène.

Derniers remords avant l’oubli
De : Jean-Luc Lagarce
Mise en scène : Julie Deliquet
Avec : Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon ou Serge Biavan, Olivier Faliez ou David Seigneur, Agnès Ramy, Annabelle Simon ou Julie Jacovella
Lumières : Richard Fischler
Musique : David Georgelin
Vidéo : Mathilde Morières

Du 30 septembre au 20 novembre 2010

Théâtre Mouffetard
73 rue Mouffetard, 75 005 Paris
www.theatremouffetard.com

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