© Jan Versweyveld
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
L’origine de la violence. Ivo Van Hove interroge Euripide et Eschyle et plonge aux racines profondes du mal qui ronge notre humanité. La malédiction des Atrides, représailles cinglantes au défi lancé aux dieux par Tantale leur offrant son propre fils comme repas, en préambule. Et c’est une odeur âcre de chair brûlée pour un autre repas qui accueille les spectateurs ; Atrée, petit-fils de Tantale, est aux fourneaux, dépeçant les enfants de son frère Thyeste qui lui seront servis comme plat principal au dîner signant ainsi la malédiction de Thyeste sur Atrée et sa descendance, les Atrides. Voilà le premier acte de la catastrophe qui fige cette famille dans la haine, voit Agamemnon, fils d’Atrée, en partance pour Troie sacrifier sa fille Iphigénie pour l’intérêt de la Grèce, Clytemnestre venger le sacrifice d’Iphigénie en tuant l’époux infanticide, Electre et Oreste, leurs enfants exilés, venger le père en assassinant leur mère et son amant Egisthe. Ajoutons la vengeance d’Hécube, reine déchue de Troie, et le destin de sa fille Cassandre donnée en butin à Agamemnon… Pour qui ne suivrait pas, la généalogie et l’action sont résumées, projetées sur les murs au fil de l’action. De ce déchaînement de violence et de meurtres légitimés, de vengeance sourde et aveugle à la raison, de tragédie brutale et sèche, spirale de violence inouïe et sidérante qui aspire aux enfers chacun des personnages marqués du sceau vengeur d’Apollon, Ivo Van Hove ne fait qu’un seul et même récit, une seule geste. Infanticide, matricide et parricide, le déclin et l’éradication d’une famille cristallisée par la haine, c’est un engrenage fatal et irrépressible sous fond de guerre de Troie qu’Ivo Van Hove met en scène dans un dénuement absolu, une beauté des images, bluffantes par leur radicale simplicité, leur cruelle clarté. Mise en scène aride, sèche et dépouillée de tout artifice, toute entière tournée vers ses personnages écorchés vivants et saignés à blanc avant de rejoindre les Enfers. C’est un équarrissage en règle où les personnages sont dépecés, les nerfs mis à vifs, fouaillés au plus profond. Ivo Van Hove taille, dégraisse et racle jusqu’à l’os, extrait le suc de cette tragédie de sang et de boue, les mécanismes de la violence, la source de toute radicalisation, cette bascule brutale dans la barbarie, légitimé par un objectif supérieur et la conviction chevillée du seul moyen de changer le monde… Iphigénie, Les Troyennes, Agamemnon, Electre, Oreste, réunis sous le titre d’Age of Rage, c’est aussi notre tragédie contemporaine qui acte pour aujourd’hui et demain notre humanité en souffrance. Ivo Van Hove ne donnant volontairement aucune prise, il n’y a pas d’émotion mais une sidération devant l’enchaînement inéluctable et la brutalité des faits. Victimes ou bourreaux, tous déterminés par les dieux, il y a quelque chose d’implacable et de résolu en chacun qui désamorce toute empathie et que souligne la mise en scène implosive plus qu’explosive et une direction d’acteur qui privilégie à la démonstration l’intériorité. Tous, jeunes pour l’ensemble, remarquables, donnant à leur rôle une épaisseur, une densité sans débordement. Il y a dans leur personnage comme un renoncement, l’acceptation d’un destin soumis à la volonté des dieux. Ivo Van Hove à vrai dire ne s’attarde pas, va vite, accélère le mouvement. Ce qui semble importer ce sont les faits, leurs origines et leurs conséquences dramatiques. C’est une transe tribale collective, vertigineuse, celle-là même qui saisit parfois les protagonistes et le chœur comme pris soudain d’une fureur exutoire au rythme d’une musique qui les possède et ne les lâche plus. Et dans cette interrogation initiale sur l’origine de la violence, des enfants sacrifiés aux passions des adultes, Ivo Van Hove projette soudain la tragédie dans le présent. L’intervention finale d’Apollon levant la malédiction n’est ici pour lui qu’une convention dramaturgique qui n’arrête en rien le déchaînement de cette violence qui perdure aujourd’hui. La dernière image en ce sens est une conclusion sans appel.
© Jan Versweyveld
Age of Rage, d’après les textes d’Euripide et d’Eschyle
Mise en scène Ivo Van Hove
Traduction : Gerard Koolschijn
Adaptation : Koen Tachelet, Ivo van Hove
Dramaturgie : Koen Tachelet
Chorégraphie : Wim Vandekeybus
Scénographie & lumières : Jan Versweyveld
Costumes : An D’Huys
Musique et design sonore : Eric Sleichim
Interprétation : Achraf Koutet, Aus Greidanus jr., Chris Nietvelt, Gijs Scholten van Aschat, Hans Kesting, Hélène Devos, Ilke Paddenburg, Janni Goslinga, Jesse Mensah, Maarten Heijmans, Majd Mardo, Maria Kraakman et Birgit Boer
Danseuses : Bai Li Wiegmans, Flory Curescu et Emma Hanekroot
Performance musicale : BL!NDMAN [batterie] Hannes Nieuwlaet, Yves Goemaere, Ward Deketelaere
Assistants de direction : Daniël ‘t Hoen, Rosemintje Verpaalen–Weijts, Konstantinos Vasilakopoulos (interne), Lisaboa Houbrechts (interne)
Assistante dramaturge : Simone van der Steen (interne)
Assistants scénographie : Bart Van Merode, Django Walon, Renée Faveer (interne)
Assistants vidéo : Coen Bouman, Arjen Klerkx
Assistant musique : George Dhawn
Assistants chorégraphes : Laura Aris Álvarez, Rob Hayden
Assistante costumes : Rosa Schützendorf
Directeur technique : Reyer Meeter
Direction de la production : Inge Zeilinga, Michiel van Schijndel
Responsable du bureau artistique : Ulrike Bürger-Bruijs
Assistante de production : Eva Sol
Production technique : Joost Verlinden
Équipe technique : Sebastiaan Kruijs (premier régisseur plateau), Kevin Cuyvers, Paul van der Zouwe, Pepijn van Beek, Emile Bleeker, Erwin Sterk, Timo Merkies, Dennis van Scheppingen, Ruud de Vos, Danne Hekman, Mark Thewessen, Manon van den Nouland, Zinzi Kemper, Tim Vleugel en Sander van Elteren, Wim Wildenbeest (interne)
Costumes : Wim van Vliest, Farida Bouhbouh, Renske Kraakman
Coiffure et maquillage : David Verswijveren, Mirjam Venema
Couture : Claudia Pellegrini, Karianne Hoenderderkamp
Chant répétitif : Mirjam van Dam
Production décors : Fiction Factory
Photographie : Jan Versweyveld, Dim Balsem, Fabian Calis
Design graphique : Sara Fortuin (affiche), Serena Kloet (programme digital)
Communication : Iris Istha
Remerciements à Bart van den Eynde, Marije de Bruin, Wouter van der Hoeven
Rendu possible par Ammodo
Avec le soutien de Johannes Vermeer Award
Du 27 novembre au 2 décembre 2021
Samedi, mardi, mercredi et jeudi à 19 h, dimanche à 15 h
Durée 3 h 45
Grande Halle de la Villette
Espace Charlie Parker
Réservation 01 40 03 75 75
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