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Gardiennes, de et avec Fanny Cabon, mis en scène par Bruno de Saint Riquier, Studio Hébertot

Avr 19, 2021 | Commentaires fermés sur Gardiennes, de et avec Fanny Cabon, mis en scène par Bruno de Saint Riquier, Studio Hébertot

 

© Jean Cabon

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Gardiennes présenté en ce mois d’avril à la presse et aux professionnels au studio Hébertot n’est pas une création. Écrit en 2016, le texte a déjà été joué, en particulier dans le off d’Avignon en 2018, avec succès.

Fanny Cabon, seule en scène donc, apparaît revêtue d’une robe noire, sous une simple douche de lumière, allongée en milieu de plateau sur un arrangement de table et chaise, jambes en l’air, la tête renversée. Elle entame le récit de son premier personnage. L’une des dix femmes, d’une même lignée, qu’elle incarne tour à tour pour livrer chacun de leur témoignage, passeuse des secrets de femmes parce que tabous pour les hommes, Gardiennes de ces vies entretenant une culpabilité de génération en génération, de l’après-guerre à la loi Veil, qui a en enfin donné un sens au droit à disposer de son corps, en France…

Le sujet de l’IVG avait récemment, en 2019, été saisi avec talent — Hors la loi de Pauline Bureau au Vieux Colombier — et originalité — Reconstitution : le procès de Bobigny d’Émilie Rousset — au théâtre, abordant avec souci de la réalité historique le combat autour de Gisèle Halimi et des « 343 salopes » auxquelles Gardiennes rend hommage rapidement, préférant mettre en avant ses anonymes, ses invisibles.

On ne pleure jamais durant le spectacle, pourtant il y a de quoi pleurer de tristesse quant au sort réservé aux millions d’anonymes, et de rage contre les lois scélérates, faites par les hommes, contre les femmes, telles la révoltante, inadmissible, inacceptable loi de Vichy (du 15 février 1942) qualifiant l’avortement de « crime contre l’État » passible de la peine de mort pour l’exécutant(e), abrogée deux ans plus tard, l’acte demeurant un délit jusqu’à la légalisation de l’IVG par la fameuse loi Veil de 1975.

On ne pleure donc jamais et on rit même parfois, tant l’autodérision et la distanciation semblent être le fil rouge des témoignages. On rit jaune surtout aux remarques masculines rapportées par les Gardiennes, ou par des voix off qui se font entendre, d’hommes, de médecins notamment qui font la morale à ces femmes engrossées parfois pour la quatorzième fois par leurs maris, lesquels trouvent moins d’inconvénients à les laisser se débrouiller avec leurs ventres qu’à utiliser des capotes anglaises ou à admettre le coït interrompu…

Des femmes anonymes, simples, au parler populaire, qui ne se plaignent pas vraiment, trouvant même parfois des excuses à leurs hommes, enfermées dans les tristes schémas d’assujettissement et de soumission ; elles énoncent des faits sans perdre leur joie de vivre quand elles ne sont pas en train de « douiller » pour la troisième ou cinquième fois, lors d’un curetage à vif, pour « leur passer l’envie » suivant l’expression récurrente des médecins, comme si elles en avaient eu envie…

Fanny Cabon est exceptionnelle de justesse. Elle a une capacité à passer d’un personnage à l’autre, de la jeune fille contant son mariage à la suite d’une grossesse pas toujours désirée à la mère âgée qui avoue simplement avoir aimé ça, le plaisir, avant que le désir de l’époux évolue à son retour d’Indochine et que les coups pleuvent sur son visage sa vie durant.

Cheveux retenus ou lâchés, tablier et balai en main, on passe d’une vie à une autre sans voir l’heure passer. Une poupée ou des livres, un béret, une statue religieuse, des aiguilles à tricoter et une gigantesque pelote de laine servant de siège éphémère pour seuls éléments de décor, symbolisant chaque histoire avec pour point commun la couleur rouge, celle du sang, omniprésent, celui des hémorragies des fausses couches spontanées ou provoquées, entraînant parfois la mort ou la faisant frôler.

Le désir d’enfant, elles l’ont toutes eu, ce désir dévorant les femmes quand elles aiment et consumant les hommes plus rarement, ce qui les rend d’autant plus exceptionnels, tel le seul conjoint présenté sous un jour moins univoque que tous les autres, présent avec sa femme à l’hôpital, impuissant face à sa douleur. Car la souffrance chez l’être vraiment aimé ne peut qu’être intolérable à celui qui aime. Fanny Cabon sait dire tout cela par des mots simples en apparence, mais si justement choisis et prononcés. Chacune se reconnaîtra sans nul doute dans l’une ou l’autre ou plusieurs des émotions qui traversent chaque histoire, de l’expérience de la douleur, même si elle est aujourd’hui incomparable grâce aux « anesthésies » et autres progrès de la médecine, à la souffrance émotionnelle, souvent plus terrible encore. Les histoires individuelles font écho à une histoire universelle des femmes, faite surtout d’abnégation.

On ne sort pourtant pas bouleversé(e)s du spectacle, mais au contraire plus fort(e)s encore. La rébellion demande du temps parfois pour reconquérir sa dignité et (re)devenir ou demeurer une femme puissante. Elles l’ont toutes été, puissantes, à leur(s) manières(s) ces femmes et le texte de Fanny Cabon a le mérite de le montrer sans militantisme. Aux femmes d’aujourd’hui de continuer ce qui est néanmoins un ancestral combat, loin d’être gagné, et de devenir les Gardiennes de leur liberté.

 

© Jean Cabon

 

 

Gardiennes de et avec Fanny Cabon

Mise en scène Bruno de Saint Riquier

Ambiance sonore Pierre Lardenois

Production La Pierre Brute

Durée 1 h 15

 

Vu en séance professionnelle au :

Studio Hébertot

78 bis boulevard des Batignolles

75017 Paris

www.studiohebertot.com

 

 

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