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Face à la mère, texte de Jean-René Lemoine, mise en scène d’Alexandra Tobelaim, Création musicale d’Olivier Mellano, Théâtre de la Tempête

Jan 29, 2021 | Commentaires fermés sur Face à la mère, texte de Jean-René Lemoine, mise en scène d’Alexandra Tobelaim, Création musicale d’Olivier Mellano, Théâtre de la Tempête

 

© Gabrielle Voinot

ƒƒ article de Denis Sanglard

Face à la mère, face à l’absence et au deuil. Chant d’amour, récit d’un adieu, l’écriture comme un tombeau pour une défunte. Jean-René Lemoine dessine le portrait sans concession d’une mère disparue tragiquement, la sienne. Reviennent abruptement les souvenirs enfouis et lacunaires d’une enfance exilée, Afrique, Belgique, France, fuyant la dictature haïtienne, auprès d’une mère aimée puis haïe. Le retour au pays pour des funérailles qui signe la réconciliation, le pardon, enfin. Ecriture singulière, poétique et musicale, récit qui vous poigne par son âpreté et sa justesse effilée. Jean-René Lemoine, auteur, metteur en scène et comédien, a cette puissance du verbe capable de faire surgir fantômes et paysages et ces liens ténus, indicibles et immarcescibles qui les relient aux vivants.

Récit donc dont s’empare Alexandra Tobelaim pour une adaptation originale. On sait la difficulté à mettre en scène tout texte non pensé pour le théâtre. Et les solutions parfois retorses pour y parvenir sans dénaturer le sens. Là, la réussite tient au respect de l’écriture, au plus près du verbe, du souffle de l’auteur. Pas de bidouillage, non. Pas de solution capillotractée. Juste un chœur de trois comédiens et un trio de musiciens. Car la musique ici a son importance, n’est en aucun sens un triste fond sonore, une illustration vide de tout sens, mais un écho sensible de ce qui est proféré. A l’image des premières minutes de cette création où de l’obscurité la plus profonde une nappe sonore, comme un prélude de ce qui adviendra, déchire crescendo l’espace aveugle, ouvert tout soudain aux émotions brutes, inavouées. C’est d’emblée assigner à la musique sa valeur dramaturgique, non assujettie au verbe mais complémentaire de celui-ci. Ce qui aurait pu être risqué, voire casse-gueule, s’avère ouvragé avec justesse. Il y a là une oscillation réussie entre le récit et la partition qui se répondent sans jamais s’annuler. Un dialogue où le verbe se trouve comme augmenté et le sens diffracté, exhaussé. Voire même trouve en la musique son impulsion, son rythme.

Les comédiens, trois sensibilités, trois identités distinctes, accordés cependant et solidaires, modulent avec subtilité ce texte sans jamais chercher l’effet. Le récit se suffisant à lui-même, n’étant pas un texte de théâtre, c’est avec intelligence qu’ils s’effacent derrière lui et laisse se déployer ce poème dans ses pleins et ses déliés, laissant au verbe sa charge émotionnelle, à la musique son âme. C’est le propre de la poésie de laisser s’épancher le verbe juste pour que sourd l’émotion. Ainsi de ce récit. Et ces trois-là sur le plateau, en osmose parfaite avec les musiciens et la partition, font de chaque mot, sans rien forcer jamais, la source de sentiments indicibles et qui, tenaces, vous frappent sèchement.

Malgré tout on peut regretter dans la mise en espace quelques déplacements inutiles, une tentative disons, chorégraphique, dans les mouvements d’un bord à l’autre du plateau, superficiels vraiment, qui n’amènent rien à vrai dire devant la force et la beauté de ce qui est exprimé et la volonté têtue d’épure de la mise en scène. Mais broutille que cela.

Car la clé et la réussite de cette création tiennent sans doute entre ces quelques lignes de Jean-René Lemoine « juste faire remonter les souvenirs et inventer ce qu’on ne sait pas ». C’est dans cet interstice là que s’est glissée Alexandra Tobelaim, entre cette remontée des souvenirs, toujours parcellaires, qu’exprime ce verbe poétique et chargé de douleur devant la perte de la mère, verbe respecté dans son intégrité, et l’invention de ce qui échappe dont elle s’empare pour, sinon lever le mystère, du moins exprimer au mieux ce manque-là, cette amnésie, et ainsi donner à ce texte singulier une portée universelle. Sans le trahir.

 

© Gabrielle Voinot

 

Face à la mère de Jean-René Lemoine

Mise en scène d’Alexandra Tobelaim

Création musicale d’Olivier Mellano

Avec Astérion (contrebasse), Yoan Buffeteau (batterie), Stéphane Brouleaux, Lionel Laquerrière (guitare et voix), Geoffrey Mandon, Olivier Veillon

Scénographie Olivier Thomas

Lumières Alexandre Martre

Travail vocal Jeanne-Sarah Deledicq

Costumes Joëlle Grossi

Son Emile Wacquiez

 

Donné le 22 janvier au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Rte du Champ-de-Manœuvre, 72012 Paris

 

 

 

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