À l'affiche, Critiques // Pièce, création du collectif Gremaud/Gurtner/Bovay, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Festival d’automne à Paris

Pièce, création du collectif Gremaud/Gurtner/Bovay, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Festival d’automne à Paris

Nov 15, 2019 | Commentaires fermés sur Pièce, création du collectif Gremaud/Gurtner/Bovay, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, Festival d’automne à Paris

 

 

© Dorothée Thébert-Filliger

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Hier soir, en découvrant Pièce, du collectif Gremaud/Gurtner/Bovay, m’est revenu en mémoire une phrase d’un metteur en scène qui devant les efforts laborieux d’un comédien déconfit sur le plateau, attendant le jugement de celui-ci, après un long silence s’est entendu répondre de façon lapidaire : « oui, c’est un métier… »

Sur le plateau ils sont trois hurluberlus, drôles de zèbres, deux comédiennes et un comédien, amateurs probablement, répétant une tragédie, Antigone, avant de s’atteler à Médée. Rôles bien plus grands qu’eux qu’ils embrassent avec une maladresse et une sincérité des plus cocasses. Avec cet effort désespéré pour répondre aux injonctions d’un metteur en scène qu’on ne verra ni entendra mais omniscient. Visiblement ce à quoi nous assistons est un filage. Ce n’est donc pas aux coulisses proprement dites mais au saut dans le vide et sans filet avant la représentation, avec cette inquiétude et la fièvre du bien faire. Et il en faut du talent pour jouer aussi mal, sans être jamais vraiment faux. Avec ça une gestuelle farfelue et mécanique empruntée, non réfléchie, appliquée consciencieusement, le pire du théâtre qu’on voudrait expérimental. Cela ressemble au final à du Grotowski pas très bien digéré. Et le hiatus entre cette gestuelle volontaire et ce qui est proféré, (sur)articulé et parfois bredouillé, est tellement énorme que le fou rire vous prend, irrésistible.

Pourtant c’est d’une grande finesse, d’une subtilité et d’une intelligence, l’air de rien et sans y toucher. Rien de moqueur mais au contraire une certaine tendresse pour ces amateurs qui font au mieux dans le pire. Ces trois-là, les comédiens de la 2B company et non leur personnages, opèrent quelque chose de miraculeux en ce qu’ils ne cherchent ni ne chargent les effets. Et d’effets, de gags volontaires à vrai dire, il n’y en a aucun. Pas de grosse artillerie propre à ce genre de sujet, le théâtre dans le théâtre dans le théâtre. Et si effets il y a, ils sont du ressort et de la volonté de la mise en scène (involontairement) loufoque de cette tragédie, non de la pièce elle-même. Ce qui déclenche le rire ici n’est rien moins que la situation elle-même et le décalage entre ce qu’ils voudraient donner à voir, leur sérieux absolu dans cette entreprise, leur concentration et leur sincérité dans le jeu, et ce que nous voyons réellement. C’est dans ce frottement, entre le contenu et la forme non ajustés, benoîtement catastrophique, que le rire prend sa source. Dans la façon qu’ont les corps d’exister sur le plateau. De faire l’effort d’exister autrement, en sortant de leur cadre naturel, de créer un corps fictionnel, qu’on imagine être celui de son personnage, mais si gauche et si appliqué dans l’effort consciencieux de répondre au metteur en scène, qu’il révèle davantage de la réalité qu’on voudrait abolir sur le plateau. C’est la réalité de l’individu, derrière le comédien qu’il rêve d’être, qu’il pense être, que ce collectif traque et trouve avec talent et justesse. Ces petits gestes échappés qui soudain font basculer la fiction ânonnée laborieusement dans la réalité et annule tout effort. Et ce qui se joue également, de façon plus ou moins consciente, entre ces trois-là, leurs petits arrangements pour exister ensemble, se colleter le collectif imposé, au-delà de leur pratique amateur. Ce qui n’est plus maîtrisé mais échappe malgré soi et dénonce plus qu’il ne masque.

Et il y a du Jacques Tati, comme un hommage, dans ce burlesque poétique, on peut dire ça, qui voit ces corps se plier à une forme saugrenue qu’il tente de maîtriser tant bien que mal. Avec une belle obstination. Comme dans ce langage fait de tic et de toc que la tragédie et son sujet peine à masquer et qui parfois ressurgit de manière inopinée. Et c’est aussi touchant que drôle de voir tant d’efforts annihilés, sans qu’ils en aient conscience. Et cette inconscience-là, voire une certaine naïveté, fait aussi tout le sel de cette création. Rien de cruel, ce qui aurait pu être pourtant mais un bel hommage aux pratiques dites amateurs. Parce que cette fragilité–là c’est aussi leur force de conviction. Et c’est celle de tous ceux-là qui osent sortir d’eux-mêmes…

Et c’est bien tout le paradoxe et la contradiction soulevés par cette compagnie de montrer combien l’artifice, et dans sa forme absolue, le théâtre, est révélateur d’une réalité individuelle et collective qui échappe toujours à celui qui le pratique.

 

 

Pièce création Collectif Gremaud/Gurtner/Bovay

Scénographie Victor Roy

Musique & son Samuel Pajand

Lumières Antoine Friderici

Costumes Collectif Gremaud/Gurtner/Bovay

Avec Tiphany Bovay-Klameth, François Gremaud, Michèle Gurtner, Samuel Pajand

 

 

Du 13 au 17 novembre à 20 h, dimanche à 15 h

 

 

Théâtre de la Ville-Les Abbesses

31, rue des Abbesses

75018 Paris

Réservations 01 42 74 22 77

www.theatredelaville.com

www.festival-automne.com

 

 

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