© Jean-Luc Beaujault
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Phia Ménard, Sisyphe camusienne. Il est des femmes puissantes, des guerrières engagées. Phia Ménard, on le sait, est de celles-là. Ici seule en scène, Athéna punk, où le no futur, dans cette performance radicale qui vous sidère, prendra toute son importance et une toute nouvelle valeur. Athéna bâtit furieusement son temple, sa maison, mais les dieux sont morts, les civilisations meurent un jour, et il ne reste au final que ruines. Résumé lapidaire de nos vies, pauvres mortels, de notre tragédie contemporaine, universelle, et vision d’une Europe entrée en agonie. Pas pour rien que la Grèce est ici donnée en référence. Si l’on peut y voir l’effondrement historique d’une civilisation et berceau de notre culture, préfiguration de la nôtre en plein chaos, c’est aussi et surtout l’échec d’une Europe plus libérale dans son économie que volontairement sociétale dont la Grèce il y a peu faisait salement les frais et dont les conséquences désastreuses perdurent aujourd’hui encore. Résumons. Une heure et demie d’effort à bâtir un temple en kit, Parthénon de carton. Matériaux fragile et rétifs. Phia Ménard est à la peine. Ce qui doit être droit est vite, parfois, de guingois. Tombent les murs. Il faut recommencer. Obstinée, sans un mot, jamais, elle recommence, rapetasse fissa ce qui doit l’être jusqu’à ce que cela tienne. La tension, la concentration sont palpables, l’effort ardu. Le public attentif et tendu encourage muettement, quelques rires fusent qui bientôt se figeront. Jusqu’à voir enfin couronné tant de rage patiente et têtue: Le temple enfin érigé… aussitôt détruit. Des trombes d’eau réduisent à néant cette construction et cet effort dantesque qui lentement et dans le silence s’effondre irrémédiablement sous nos yeux éberlués voire catastrophés. L’action est radicale, absolue. Et dans cette extrême pauvreté de moyen, relative, dans cette absence volontaire de discours didactique, dans le choix même de cette radicalité de l’image et de la performance, métonymique, s’engouffre avec fracas la marche boiteuse du monde, son aveuglement, cahin-caha jusqu’à sa chute. Catastrophe climatique ou économique, c’est du pareil au même, les deux désormais sont liées en un seul geste que Phia Ménard dénonce. Phia Ménard avec Saison sèche mettait à bas la maison du patriarcat, envahie de boue et d’eau jusqu’à la dissolution de ses murs. Mais de ce magma fangeux naissait un nouvel ordre. Mais dans Maison Mère ? Quel constat ? On se prend à espérer ici que de ces ruines gorgées d’eau naîtra un nouvel espoir. Phia Ménard ne propose rien, n’accuse personne de la gabegie du monde, du désastre écologique qui détruit aussi sûrement que l’économie affolée et spéculative, disparaît dans la brume qui envahit le plateau, mais suggère sans doute par ce tas de gravats spongieux, tout ce qui nous reste de nos utopies européennes, que c’est à nous désormais de reconstruire au risque de l’échec et sous le sceau de l’absurde. Sans espoir sans doute mais sans désespoir.
© Jean-Luc Beaujault
Contes Immoraux-Partie 1 : Maison Mère une création de Phia Ménard / Cie Non Nova
Écriture et dramaturgie Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault
Scénographie et interprétation Phia Ménard
Composition sonore et régie son Ivan Roussel
Costumes et accessoires Fabrice Illia Leroy
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