À l'affiche, Critiques // The end of reality, de Richard Maxwell, mis en scène par Marie-José Malis au Théâtre de la Commune, Aubervilliers

The end of reality, de Richard Maxwell, mis en scène par Marie-José Malis au Théâtre de la Commune, Aubervilliers

Fév 13, 2019 | Commentaires fermés sur The end of reality, de Richard Maxwell, mis en scène par Marie-José Malis au Théâtre de la Commune, Aubervilliers

 

© Willy Vainqueur

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Un étrange vertige étreint à peine installé dans la salle du théâtre de la Commune. La cause en est probablement cette longue jetée se déroulant depuis les gradins jusqu’au centre de la scène comme un débordement de notre réel sur le plateau. La sensation que le monde glisse sous nos pieds, et s’écoule, en débris, vers une terra incognita égrenant quelques vestiges de notre réalité : sur la scène décharnée, épars, l’émail blanc d’un lavabo, un vieux frigo, un panier de basket, quelques chaises, un drapeau américain, des casiers, d’immenses poutres de soutènement et au centre de ce trou noir des écrans de vidéo surveillance : The end of reality.

The end of reality est la première pièce traduite et montée en français de Richard Maxwell (auteur américain régulièrement invité par le Festival d’Automne). J’avais découvert en 2011 son travail au Centre Pompidou avec Neutral Heroe et le souvenir que j’en avais gardé confortait l’idée de cette rencontre avec le travail de Marie-José Malis : le même désir de renouveler le rituel du théâtre, la centralité de l’acteur et de sa parole, un temps de la représentation qui est celui de l’instant inventé, périlleux, fragile, instant en présence. Le théâtre est alors expérience partagée à parts égales entre acteur et spectateur, et non plus répétition d’une représentation.

The end of reality raconterait l’histoire de Tom, Brian et Jake, agents de sécurité dans une société privée de gardiennage, et leur confrontation à la violence du monde. La pièce démarrerait très vite avec l’enlèvement de Jake par un homme indéfini sous le regard paralysé d’une nouvelle recrue (Shannon). Shannon serait virée et remplacée par Marcia, filleule de Tom. L’homme indéfini reparaîtrait et serait capturé. Marcia après lui avoir parlé le laisserait partir.

Le conditionnel s’impose tant ce à quoi l’on assiste échappe aux faits auxquels on voudrait s’accrocher, comme dans un rêve où les actes perdent de leur substance pour laisser place à leur émouvante trainée fantomatique. Cette dissolution du réel s’opère notamment par une hyper physicalité des corps dont la violence surgit sans causalité ou au contraire, une abstraction de l’acte dont il ne resterait plus que l’enveloppe (l’enlèvement de Jake). A l’image de la scénographie où le réel affleure comme perforant la texture du lieu, on a la sensation trouble qu’un calque surlignant certains traits de la réalité se serait soudainement désolidarisé et décalé de cette même réalité.

Cette étrangeté agissante est également à l’œuvre avec les comédiens. Olivier Horeau, Pascale Batigne et Maxime Chazalet, connus dans de précédentes productions de Marie-José Malis, semblent métamorphosés, leurs corps lestés par les empreintes du monde. Le texte, tout en blocs non équarris, ne propose pas un théâtre de la pensée comme avec Pirandello, ou plutôt, cette pensée s’écrit en creux, dans l’indicible, dans ce qui échappe aux mots, dans ce qui déborde et sous-tend la parole stéréotypée, dans une intelligibilité instinctive et organique. Cette pensée est faite de la chair même de ceux qui la portent, de leurs nerfs, de leur être profond, de leur vie, quand bien même elle pourrait s’articuler sur des expressions toutes faites, quand bien même elle resterait inarticulée, ultime richesse préservée du monde. Il faut saluer les trois comédiens (Moussa Doukoure, Maxime Fofana, et Mamadou Kebe) de l’Ecole des Actes dont les présences puissantes et légères à la fois interrogent le plateau, dont les immobilités mutiques et les sourires énigmatiques semblent condenser avec aplomb le théâtre de Richard Maxwell. Et puis il y a Marie Schmitt (Marcia), nouvelle venue sur la scène de Marie-José Malis, qui fait littéralement effraction au réel, avec l’exigence héroïque et l’innocence brûlante d’une adolescente, qui fait trembler le monde et ce que l’on veut bien en penser, et qui enfin ouvre dans nos cœurs une brèche. Marcia dont le visage, bouillonnant de nuages et de rires, se donne à lire comme un aveu, dans un désarmement qui nous saisit au plus profond.

Tom souffre de ces « temps qui changent », et de la difficulté à être dans celui qui vient : « je sais que l’on est déjà dans l’avenir… et le passé me manque », Brian ne jure que par l’importance d’être vivant quitte à se faire mal en aimant pour se prouver que l’on vit, Marcia a « besoin d’être sauvée comme tout le monde ». Tous nous disent cette difficulté de se conformer au monde et à l’image de nous-mêmes qu’il nous impose d’épouser, ce déchirement entre celui que nous étions hier et celui que nous sommes devenus, entre moi et l’autre, l’étranger, qui me fait face… Et leurs déclarations, dans l’impossibilité de leurs réalisations, nous donnent à entendre enfin l’énergie lumineuse, vitale, de ceux qui ont peu sinon rien, comme des battements d’ailes dans le silence du monde. C’est un cadeau inestimable.

 

© Willy Vainqueur

 

The end of reality, de Richard Maxwell

Mise en scène Marie-José Malis

Traduction Stéphane Boitel

Scénographie Marie-José Malis, Jessy Ducatillon, et Adrien Marès

Lumières Jessy Ducatillon assisté de Manon Lauriol

Création sonore Christophe Fernandez

Costumes Zig & Zag

 

Avec Pascale Batigne, Maxime Chazalet, Moussa Doukoure, Maxime Fofana, Olivier Horeau, Mamadou Kebe, Marie Schmitt

 

Du 6 février 2019 au 22 février à 19h

(samedi à 18h et dimanche à 16h)

 

Durée 3h00

 

Théâtre de la Commune
2 Rue Edouard Poisson

93300 Aubervilliers

 

Réservation au 01 48 33 16 16

http//www.lacommune-aubervilliers.fr

 

Tournée

Du 13 au 16 mars 2019

Théâtre Garonne, Toulouse
1, avenue du Chateau d’eau

31300 Toulouse

 

Réservation au 05 62 48 54 77

http://www.theatregaronne.com

 

 

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