À l'affiche, Critiques // Saison sèche, dramaturgie et mise en scène de Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault, à la MC93 / Théâtre de la Ville-Hors les Murs

Saison sèche, dramaturgie et mise en scène de Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault, à la MC93 / Théâtre de la Ville-Hors les Murs

Jan 13, 2019 | Commentaires fermés sur Saison sèche, dramaturgie et mise en scène de Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault, à la MC93 / Théâtre de la Ville-Hors les Murs

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

« Je te claque la chatte ! » Ainsi Phia Menard ouvre-t-elle cette création, comme un retour à l’envoyeur, création qui vous poigne d’emblée, vous tétanise, vous agrippe et ne vous lâche plus. Saison sèche, n’est pas une déclaration de guerre mais un constat nu. Où en quatre tableaux d’une formidable et magnifique violence, d’une fausse naïveté, cette performeuse hors-pair, chorégraphe et plasticienne engagée, flanque une raclée phénoménale au patriarcat qu’elle dénonce avec une acuité têtue et âpre. Etre soi, affirmer son identité, n’est pas un choix mais un combat. Transgenre, Phia Menard connaît le processus de réassignation qui met à nu, à vif, la construction du genre, de l’identité et l’oppression éducative, sociale et politique patriarcale. « On ne naît pas femme on le devient », Phia Menard passée d’une rive à l’autre en connaît l’envers et l’endroit… Eduquée comme un homme, éprouvée comme femme par cette même éducation reçue. Dépossédée, dominée, possédée. Phia Menard, traduction vivante et sensible de ce changement de condition, engage le combat avec pour seule arme le corps, objet de tous les enjeux de domination. Ce corps conditionné, cet ensemble d’habitus, qui cloisonne, enferme tout individu dans un rôle où être soi n’existe qu’au regard de l’autre, dans la soumission ou la domination. De ce fatras de clichés, de stéréotypes qui perdurent et dont elle se joue consciemment, habilement, Phia Menard s’empare pour une cérémonie, un rituel sauvage, exutoire. Jusqu’au chaos. « Je te claque la chatte ». Soit. Sept formidables performeuses. Cuisses écartées, elles attendent. On songe avec effroi aux Araignées de Louise Bourgeois, araignées dont elles épousent bientôt les mouvements. Dans cet espace sombre dont le plafond ne cesse avec fracas de monter et descendre, menaçant de les broyer, la peur et l’affolement, la soumission règne. Dans cette semi-pénombre, dans cet enfermement sans échappatoire possible, avant que ne tombe définitivement ce plafond, la conscience du collectif et de sa force ouvre soudain un espoir à défaut d’un avenir. Noir. Vient une bacchanale d’une beauté brute et fulgurante. Cérémonie archaïque et tribale de ménades déchaînées. Ce sont soudain des femmes puissantes, nues et peintes de couleurs vives, qui dans ce cube, plafond relevé, d’un blanc éblouissant, dansent, hurlent leur liberté d’être, dans une ronde, un sabbat de sorcières, affranchies de la domination patriarcale. Le mâle dont elles s’emparent des attributs, slip noir et couilles sonores, symbole de la puissance castratrice et de leur domination, est symboliquement et promptement émasculé. Ce mâle qu’elles imitent bientôt dans une séance hallucinante de drag-king qui les voit se revêtir, l’habit faisant le moine, de costumes, clichés parfaitement assumés, comme autant de déclinaison d’un pouvoir oppressif. Du militaire au religieux, du PDG au caillera, avatars dont elles épousent les gestes et attitudes stéréotypés. Suivie d’une marche martiale, brutale, pas cadencés et martelés, qui semble ne pas vouloir finir et pendant que tremble le théâtre sous les coups de boutoirs d’une musique assourdissante. Une parade grotesque où les gestes, les mouvements dans ces clichés volontairement naïfs et affichés, répétitifs jusqu’à en perdre tout sens, sont autant de signes d’une oppression culturelle, religieuse et politique qui tournent à vide et mène au gouffre. Très vite les murs suintent, l’eau s’infiltre, un liquide noir et poisseux envahit en cascade le plateau, crève les murs et le plafond qui finit par s’écrouler. Tableau apocalyptique insensé. Du chaos, on le sait, naîtra un nouvel ordre, des lendemains qui chantent… C’est par ses murs crevés que réapparaissent, nues et lavées de tout maquillage, les sept danseuses, incroyables performeuses épuisées d’avoir tant donné, le corps en avant, prompt à la métamorphose. A défaut d’égalité, l’avenir de l’homme, pour reprendre Aragon, sera féminin ou pas, voilà ce qui est asséné. « Je te claque la chatte », nous revient comme un boomerang et ça fait mal. Le public lui est littéralement estomaqué, saisi, K.O-debout. Phia Menard frappe fort, très fort. Rien de volontairement sophistiqué ici, loin du délicat Vortex, mais un sens de l’image efficace, brute, volontairement dépouillée, ayant recours aux clichés, oui, mais qu’elle retourne sèchement comme un gant et nous gifle à la face parce que ces clichés-là ont la peau dure et tannée et pourrissent encore notre société arc-boutée sur un patriarcat qui ne se résout pas à lâcher prise. Le fond valait bien la forme, plus performative que chorégraphique, les deux n’étant pas toujours incompatibles. Le constat est lucide et sans appel. La réponse de Phia Ménard, qui ne manque pas d’humour non plus, implacable et le résultat quoiqu’on en dise et nombreux sont les pisses-froid, est magistral.

 

© Jean-Luc Beaujault

 

Saison sèche dramaturgie et mise en scène Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault

Scénographie Phia Ménard

Création et interprétation : Marion Blondeau, Anna Gaïotti, Elise Legros, Phia Ménard, Marion Parpirolles, Marlène Rostaing, Jeanne Vallauri, Amandine Vandroth

Composition sonore et régie son Ivan Roussel

Création lumière Laïs Foulc

Costumes et accessoires Fabrice Illia Leroy

 

Du jeudi 10 au dimanche 13 janvier 2019

Jeudi, vendredi à 20h, samedi à 18h et dimanche à 16h

 

MC93 / Maison de la Culture de Saint-Denis

9 boulevard Lénine

93000 Bobigny

 

Réservations 01 41 60 72 72

reservation@mc93.com

 

Tournée 2019 :

Le Théâtre, Scène nationale d’Orléans, 17/18 janvier

Tandem, scéne nationale Douai, 5 février

La Comédie de Valence, CDN Drôme Ardèche, 13/14 février

La Criée, Théâtre National de Marseille, 28 février au 2 mars

Théâtre des quatre-saisons, scène conventionnée musique(s) Gradignan, 7 mars

Le Grand T, Nantes, 13 et 14 mars

Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 20 au 29 mars

La Filature, scène nationale de Mulhouse, 4 mai

 

 

 

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