© Marc Domage
ƒƒ article de Marguerite Papazoglou
C’est quasiment en conditions de studio, à l’Atelier de Paris à la Cartoucherie, qu’un public averti est venu découvrir cette dernière création de Vincent Dupont et de son équipe, avec notamment l’irremplaçable Yves Godin à la lumière, Raphaëlle Latini et Maxime Fabre au son, comme toujours produit en live à travers un dispositif sophistiqué de micros proches du corps et de filtres. Cette fois, le plateau est presque vide hormis au fond une pile de cartons encore plats. Soudain, ils entrent, comme on entre dans l’arène ou dans une usine, c’est-à-dire sans seconde pensée.
Deux manutentionnaires, préparateurs de commandes, plieurs et déplaceurs de cartons, regard hagard et gestes conformes qui les rendent jumeaux malgré une flagrante différence de gabarit, exécutent le travail, dans un vacarme industriel fleurtant avec l’électro et saturant l’espace, unique, de la scène et des gradins. Le travail à la chaîne et la conscience de l’aliénation en même temps.
Mais point de réalisme, encore moins de misérabilisme, la distanciation est tout de suite là, les danseurs Vincent Dupont et Raphaël Dupin sont des clowns et jouent le jeu que nous attendons : (dé)jouer. Se coordonner, se faire plus machine que machine : trajectoires, rythme et complémentarité aussi parfaits qu’absurdes, murs, lignes et autres objets géométriques ; s’amuser à frôler l’erreur, risquer, faire des belles lignes. Telle est la marge de manœuvre pour rester humain. Mais régulièrement la machine s’arrête, le jeu déraille, et inversement. Trouver autre chose, s’aliéner plus loin, rater encore, rater mieux. Nous rions jaune, blêmes même… Les lumières sont crues et les couleurs criardes. Elles inondent par moments autant la scène que la salle, désamorçant la représentation elle-même. Refuge, jouerait-il aussi avec notre habitude de tourner le regard ailleurs, de nous embarquer dans le jeu de l’intelligence ou de la prouesse, pourvu que ce soit une échappatoire à la cruauté ?
Avec les deux danseurs, nous nous confrontons à ces vies invisibles comme à des vies malgré tout. Car, oh surprise, ils parlent ! On ne comprend rien et leur timbre est celui des commandes vocales numériques que les vrais employés des centres de distribution entendent dans leur casque, mais il y a ce quelque chose de personnel, reconnaissable envers et contre tous les procédés de déshumanisation, qui nous fait entendre la rumeur de l’intériorité : grâce à un dispositif qui recueille les impulsions depuis le larynx, les protagonistes produisent une parole d’avant la parole, au sens propre, et d’avant… ou d’après… le langage. Un code qui parle de quantités et d’emplacements d’articles ventriloques les humains, niant la capacité même de langage ; mais les humains miment dans cette parole au ras de la voix, leurs disputes et amours grotesques.
De refuge, y en a-t-il ? C’est indécidable. Ils dansent, oui, mais ne s’en sortent pas indemnes… La surenchère de la représentation de l’oppression à laquelle « les bonnes » – manutentionnaires jouent, reste en suspens, on ne tue pas Madame… Amazon. On aurait aimé être surpris.
© Marc Domage
Refuge
Concept, chorégraphie Vincent Dupont
Interprétation Raphaël Dupin, Vincent Dupont
Son Maxime Fabre, Raphaëlle Latini
Lumière Yves Godin
Régie générale Sylvain Giraudeau
Travail de la voix Valérie Joly
Conseil dramaturgique Mathieu Bouvier
Collaboration artistique Myriam Lebreton
Les 8 et 9 novembre à 20h30
Atelier de Paris / CDCN
Cartoucherie
2 route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Réservation au : 01 417 417 07
Tournée :
Les 11 et 12 décembre 2018
ICI—CCN Montpellier
Agora, boulevard Louis Blanc
34000 Montpellier
Réservation : 04 67 60 06 79 / billetterie@ici-ccn.com
Du 8 au 11 janvier 2019
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
31 rue des Abbesses
75018 Paris
Réservation : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
Le 23 mars 2019
L’Avant-Scène Cognac
1 Place Robert Schumann
16100 Cognac
Réservation : 05 45 82 17 24
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